Un an après la tragédie du Costa Concordia, la perspective d'une catastrophe du même acabit inquiète à Venise, où des navires de croisière géants circulent tranquillement depuis des années devant la place Saint-Marc.
Le débat est vif entre les défenseurs du patrimoine de la Sérénissime, effrayés par l'impact de ces bateaux, et les avocats des géants des mers, qui représentent un poids non négligeable dans l'économie d'une ville vivant essentiellement du tourisme.
"A Venise, il est impossible qu'il y ait un autre Concordia", assure d'un ton péremptoire Massimo Bernardo, président de Comité Cruise Venice.
"Une ordonnance de la capitainerie de Venise impose la présence de deux pilotes à bord et de deux remorqueurs en plus du commandant. Pour qu'il y ait un accident, il faudrait donc que tous deviennent fous à l'improviste", plaisante-t-il en réajustant son écharpe.
Pourtant, il est vrai que voir passer ces navires hauts comme des immeubles à quelques mètres de lieux exceptionnels comme la place Saint-Marc ou la Pointe de la Douane fait frissonner.
"Ils sont un peu une plaie, et vraiment très gros pour passer ici, mais ils apportent beaucoup de touristes à Venise", observe résigné Mattia Florian, un chauffeur de bateau-taxi de 29 ans au visage tanné par les embruns.
Selon des chiffres communiqués par l'European Cruise Council (ECC), le secteur des croisières a contribué en 2011 à hauteur de 536 millions d'euros à l'économie de la Sérénissime, où il emploie 5.470 personnes.
Toujours selon l'ECC, les croisières représentent à elles seules 20% de l'affluence touristique locale, alors que Venise, dont la population s'est réduite au fin des ans à 58.000 habitants, accueille plus de 20 millions de touristes par an.
"Il est évident que ces ressources, dans une période difficile sur le marché du travail, sont de plus en plus essentielles", souligne devant son grand bureau Roberto Perocchio, directeur général du Terminal Passagers Croisière de Venise.
Un argumentaire qui ne convainc pas Cristiano Gasparetto, un architecte vénitien de pure souche et membre actif de l'association de défense du patrimoine Italia Nostra. Amoureux de sa ville, il pourfend sans relâche ces "monstres" défigurant le paysage.
"Un navire de cette taille déplace des quantités d'eau énormes sous la surface de l'eau, même s'il avance lentement. Cela contraint à faire et à refaire en permanence les rives des quais", s'emporte cet homme à l'allure pourtant débonnaire, soulignant ainsi le coût de cette présence pour les finances locales.
Outre "la destruction des rives et des fondations des édifices", M. Gasparetto dénonce aussi "la pollution atmosphérique, car un navire restant immobile une journée à quai équivaut à la pollution de 15.500 automobiles", sans oublier "les ondes électromagnétiques de ses radars".
"Selon les spécialistes, d'ici 5-6 ans la lagune deviendra un bras de mer, un écosystème qui sera complètement modifié et incapable de s'autonettoyer comme c'est le cas actuellement", déplore l'architecte.
Un débat local qui ne laisse pas indifférent à l'étranger: en octobre, des personnalités internationales du monde de la culture, parmi lesquelles l'écrivain turc Orhan Pamuk et l'artiste américain Bill Viola, ont adressé une pétition au gouvernement italien demandant la restriction de l'accès des bateaux de croisière à la lagune de Venise.