Alors que des incidents au Cachemire attisent les tensions entre l'Inde et le Pakistan, d'autres victimes de leur rivalité restent oubliées: les centaines de pêcheurs qui croupissent en prison pour avoir un jour eu le malheur de s'aventurer sur les eaux frontalières.
Au bout du village côtier de Rerhy, dans une hutte en bois assaillie de mouches, Hamida, la tête recouverte d'un long voile blanc, pleure son mari Nawaz, un ancien pêcheur, comme ceux qui préparent ce jour-là leurs barques multicolores sur le rivage de terre battue où errent des chiens galeux.
Nawaz avait pris la mer en mai 1999. Il n'a jamais été revu vivant. Du moins pas au Pakistan. Lui et trois autres membres de la famille ont atterri au Gujarat, en Inde, où ils ont été emprisonnés.
Hamida pensait que le père de ses deux enfants était mort. Sept ans plus tard, elle a reçu une lettre l'informant qu'il était bien en vie, en prison.
L'euphorie, avant le coup de massue. Car à l'automne dernier, sans prévenir, c'est la dépouille de Nawaz, finalement décédé, qui est arrivée au village. Depuis, Hamida est inconsolable, recroquevillée dans sa hutte au fond d'une cour jonchée de pneus brûlés.
La famille espère encore le retour des trois autres toujours écroués.
Ces pêcheurs sont les victimes du conflit maritime frontalier entre l'Inde et le Pakistan. Mais leur sort ne fait guère la une des médias, au contraire des incidents au Cachemire, région himalayenne disputée qui a provoqué deux des trois guerres entre les deux pays depuis leur indépendance et partition en 1947.
En mer, ils se disputent le "Baan Ganga", ou "Sir Creek", une baie de près de 100 km coincée entre les provinces pakistanaise du Sind et indienne du Gujarat, débouchant sur la mer d'Arabie et réputée pour ses eaux poissonneuses.
Des pêcheurs y sont régulièrement emprisonnés pour entrée illégale dans le pays voisin. Comme le jeune Ginesh Kumar, pris en octobre sur un bateau indien.
"Je ne savais pas où j'étais, mais le propriétaire de l'embarcation devait savoir", lance le poids plume de 19 ans, pieds nus, casquette orange et moustache clairsemée dans la prison Malir de Karachi, où sont détenus les pêcheurs indiens.
Ils y sont plus de 200, selon Nazir Hussain Shah, le directeur de l'établissement. En Inde, ce sont 125 pêcheurs pakistanais qui sont écroués dans le Gujarat, chiffre Manish Lodhari, du Forum national des pêcheurs indiens.
"Les pêcheurs croupissent en prison sans avoir commis de crime... Ils sont victimes d'une guerre maritime non déclarée", soutient Syed Sarim Burney, avocat pakistanais qui défend des pêcheurs indiens. "Il n'y a aucune démarcation visible entre les eaux des deux pays, les gardes-côtes peuvent donc interpeller les pêcheurs à leur guise", ajoute-t-il.
Les deux pays ont néanmoins mis sur pied en 2007 un comité conjoint qui tente d'accélérer la libération des pêcheurs. Une fois libérés, ceux-ci rentrent sous escorte dans leur pays par la terre, sans leurs bateaux.