Neuf ans après le naufrage du chalutier breton Bugaled Breizh au large de la Grande-Bretagne, l'ombre du "secret défense", qui masquerait l'intervention d'un éventuel sous-marin étranger dans l'accident, plane toujours sur ce drame inexpliqué.
Cinq marins sont morts en quelques secondes, le 15 janvier 2004, dans une zone où se déroulaient au même moment des manoeuvres navales de l'Otan et de la Marine britannique impliquant des sous-marins de diverses nationalités.
L'enquête judiciaire touche à sa fin et pourrait s'achever par un non-lieu, suscitant inquiétude et incompréhension chez les familles épuisées, comme dans les milieux maritimes.
Fin janvier, un documentaire sur l'affaire a été projeté au Sénat. Après ce film, "on reste extrêmement interrogatif par rapport aux zones d'ombre de cette histoire (...) Ce naufrage n'est pas lié à un risque inhérent à la mer. Là, il y a une énigme (...) il y a eu quelque chose d'extérieur", commente le sénateur Joël Labbé (EELV).
"Je passe beaucoup de temps avec les familles qui se sentent abandonnées. Tout le monde va mal. Ca traîne. C'est ce que veulent les politiques et la justice: faire traîner les choses pour les faire pourrir", accuse Robert Bouguéon, président du comité local des pêches du Guilvinec, partie civile avec plusieurs familles. Le Bugaled était immatriculé dans ce port du pays bigouden et M. Bouguéon a suivi l'affaire de bout en bout.
"Il y a une omerta depuis le début sur cette affaire", estime-t-il, en évoquant des éléments troublants. Le jour du naufrage, "j'ai eu un coup de fil d'un ministère, m'informant que le premier sous-marin se trouvait à 75 milles nautiques du lieu de naufrage. Je me suis dit: pourquoi il me parle de sous-marin, celui-ci?. Je ne comprenais pas car, à ce moment-là, on ne savait pas encore qu'il y avait des manoeuvres en cours".
En dépit de l'enquête du BEA Mer, concluant en 2006 à un accident de mer, la responsabilité d'un sous-marin reste la thèse privilégiée par tous, marins ou avocats. Le submersible aurait accroché les funes (câbles reliant le bateau à son chalut) du Bugaled, l'entraînant par le fond. Mais des divergences subsistent quant à la nationalité - britannique, néerlandaise, voire américaine - du sous-marin en cause.
La thèse du sous-marin est renforcée par le fait que les juges initialement en charge de l'instruction à Quimper ont, en 2008, estimé "hautement probable" l'hypothèse d'une collision avec un sous-marin nucléaire d'attaque. Or, si rien de nouveau ne surgit, si de nouveaux témoignages ne se manifestent pas, "on va vers un non-lieu d'ici la fin de l'année", ont laissé entendre les juges désormais en charge du dossier à Nantes.
"Il faut une véritable volonté politique de donner aux juges tout ce qui peut les éclairer. Mais à supposer que cette volonté politique existe, elle se heurte à une volonté militaire, plus forte qu'elle", considère Me Christian Bergot, avocat de la première heure. "Le problème n'est pas de savoir si c'est un sous-marin, c'est de l'identifier (...) Un accident, ça arrive, mais on l'assume!", dit-il.
"Chez nous, on considère que les marins assument leurs responsabilités. Ce n'est pas la même chose chez les anglo-saxons...", en particulier les Etats-Unis, qui couvrent systématiquement leurs militaires à l'étranger, commente Olivier Le Nézet, président du comité régional des pêches, qui a compté dans son équipage, pendant plusieurs années, l'un des disparus. "Un bâtiment étranger, c'est une difficulté supplémentaire. Ca devient une affaire d'Etat à Etat, tout ça lié, en plus, à l'esprit défense", relève-t-il.