Les énergies marines, énième eldorado sans lendemain ou nouvelle ère des renouvelables ? La France rêve d'une première place mondiale et d'un gros lot industriel, mais les récifs sont nombreux et la concurrence rude.
Vents, vagues, courants, marées: le potentiel de ces phénomènes naturels pour produire de l'électricité est immense, alors que la surface de la Terre est couverte aux deux tiers par les mers et océans et que l'exigence d'une énergie propre se fait de plus en plus urgente. Rien que pour les hydroliennes, ces turbines tournant avec les courants marins, le potentiel mondial avoisinerait les 100 gigawatts, soit l'équivalent de toutes les centrales de France, selon une étude du cabinet Indicta. Or, au large des côtes françaises sommeille le deuxième potentiel d'Europe, avec 3 gigawatts, contre 8 côté britannique. Soit des milliers de machines à installer dans les deux cas.
Pour l'heure, seul l'éolien posé en mer a atteint le stade commercial dans le monde. La France a manqué ce premier virage -bien qu'elle cherche actuellement à rattraper son retard-, une erreur à ne pas rééditer pour les autres énergies marines renouvelables (EMR), font valoir certains. Dans l'Hexagone, hormis l'usine marémotrice de la Rance (240 MW), construite en 1960 près de Saint-Malo (Ille-et-Villaine), rien ne tourne encore.
"Pour l'hydrolien, il faut absolument être pionniers", analyse Antoine Rabain, expert en EMR chez Indicta. "Il n'y aura pas de la place pour tout le monde, il faut donc que la France soit extrêmement dynamique sur cette filière", explique-t-il. La filière des hydroliennes est la plus avancée des nouvelles énergies marines, selon les experts. Suivent l'énergie des vagues et l'éolien flottant, et à un horizon plus lointain l'énergie thermique des mers, qui consiste à créer de l'énergie en jouant sur le différentiel entre les eaux chaudes de surface et froides des profondeurs.
Leader mondial
Bien conscients de l'enjeu, de grands industriels français ont choisi d'acquérir les start-up pionnières, afin de ne pas perdre de temps. Ainsi, les chantiers navals DCNS viennent de prendre le contrôle du fabricant irlandais d'hydroliennes OpenHydro et Alstom du britannique Tidal Generation. DCNS vise le milliard d'euros de chiffre d'affaires d'ici 2025. Côté électriciens, EDF et GDF Suez travaillent tous les deux à leurs premiers parcs pilotes dans les zones les plus propices, à l'ouest du Cotentin et au nord de la Bretagne.
Mais ce potentiel physique tient-il le choc d'un point de vue économique? Les milliers d'emplois que les industriels font miroiter seront-ils au rendez-vous? Le gouvernement affiche son volontarisme. "La France a le potentiel pour devenir leader mondial" dans le domaine des EMR, affirmait fin février à Cherbourg Delphine Batho, ministre de l'Ecologie et de l'Energie. "C'est notre objectif", a confirmé depuis à l'AFP la ministre.
Cependant, la route est jalonnée d'écueils. "Les estimations sont probablement réalistes en matière de potentiel, mais elles sont probablement optimistes en termes de calendrier", souligne Angus McCrone, expert des énergies marines de l'agence spécialisée Bloomberg New Energy Finance (BNEF).
Les raisons de ce retard? La crise financière est passée par là, "mais le point principal, c'est que le secteur a réalisé que cela allait prendre beaucoup plus de temps pour porter les installations d'énergies marines au stade commercial", souligne M. McCrone. Et même au stade commercial, "les développeurs commenceront probablement à voir comment une ou deux machines survivent pendant deux ou trois ans dans l'eau avant de commencer à construire les plus grands projets".
Reste aussi à convaincre les pêcheurs locaux et les associations de protection de l'environnement.