Sur la plage de l'Ermitage, à La Saline, Georges, 48 ans, en vacances dans son île natale de La Réunion, s'étonne : "On a toujours parlé de requins à La Réunion. Quand j'étais marmay ("enfant", en créole), nos parents nous mettaient déjà en garde". Mais, "depuis quelque temps, on en parle beaucoup en métropole, parce que les attaques se sont multipliées".
Ce n'est donc pas un hasard si sa famille a choisi cette plage de la côte nord-ouest protégée par la barrière corallienne, pour profiter du soleil aoûtien de l'hiver austral. "Au moins, on est sûrs que les requins ne viendront pas dans le lagon", se rassure le vacancier.
Outre de graves difficultés sociales, c'est l'autre crise que subit, depuis plus de deux ans, l'île, département français de l'océan Indien où le requin continue de susciter des débats passionnés. Le phénomène touche beaucoup de monde : baigneurs du week end, touristes, sportifs de haut niveau, pêcheurs professionnels, acteurs économiques du tourisme, élus de la côte ouest, services de l'Etat, militants associatifs...
Il voit s'opposer défenseurs des squales et partisans d'une gestion de leur prolifération par des prélèvements réguliers. Les cinq attaques mortelles de squales qu'a connues La Réunion depuis 2011 (vingt au total depuis 1980) ont alimenté les craintes et une mauvaise réputation à travers le monde. "Une publicité dont on se serait bien passés", soupire, désabusé, le responsable d'une agence de communication spécialisée dans le tourisme.
Lorsque le débat s'ouvre sur l'accroissement récent et incontesté de la population des squales aux abords des côtes réunionnaises, les avis s'opposent sur ses causes : les uns pointent du doigt le rejet dans la mer des eaux usées de zones de plus en plus urbanisées. D'autres mettent en cause la "Réserve naturelle marine de La Réunion" créée en 2007, une bande littorale maritime de 40 km de long, dans laquelle la pêche est désormais, soit interdite, soit strictement réglementée. "Cette réserve est devenue le garde-manger des requins", déplore un surfeur. "Ils se sédentarisent là où ils savent pouvoir se nourrir".
Une autre cause fait l'unanimité: l'arrêt de la pêche professionnelle au requin. D'abord en 1999 quand sa commercialisation, dans l'île, a été interdite puisque l'animal était suspecté d'être contaminé par la ciguatoxine, à l'origine de graves intoxications alimentaires. Puis, en 2004, une seconde interdiction de pêche a visé ceux qui faisaient commerce des ailerons des squales.
Des solutions qui créaient la polémique
Le représentant de la Fondation Brigitte Bardot, Didier Derand, conteste en justice les prélèvements décidés par le préfet. "C'est l'ONG Sea Shepherd influente internationalement qui reprend le dossier, parce qu'il faut une sensibilisation mondiale contre le massacre organisé des requins ". Selon Sea Shepherd, la pérennité des populations est en danger et cela menace la stabilité des écosystèmes marins. De son côté, le conseil régional de La Réunion se dit prêt à financer des ballons aériens, équipés de caméras de surveillance et de moyens d'alertes, lorsqu'ils détectent des mouvements dans l'eau. La commune de Saint-Paul opte pour les drumlines, des pièges fixes immergés, équipés d'hameçons.
Actuellement en négociation avec le préfet, sur le montant de l'indemnisation allouée aux pêcheurs agréés pour capturer les 90 spécimens tigres et bouledogues, destinés aux études scientifiques concernant la ciguatera, le président du comité régional des pêches, Jean-René Enilorac est dubitatif. "Même si le risque ciguatera est levé, je ne suis pas sûr que les Réunionnais dégusteront de nouveau du requin. Qui acceptera de manger un poisson, en imaginant qu'il a peut-être dévoré un humain? "
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