Jérémie, on entend le sifflement du foil en arrière-plan. C’est bon signe, ça !
« Ça va vite, ça siffle sur une route qui n'est pas classique. La météo m’a mis face à un choix : soit un décalage pour faire un grand tour dans l’Ouest, soit la route africaine, que j’ai choisie. La route africaine n’est pas facile techniquement, il y a les passages sous les îles, avec les dévents. J’ai trouvé cette nuit un bon couloir de vent, et j’en ai plus que prévu. Alors je laisse parler le bateau, qui est magique. Là, je ne suis jamais en dessous des 20 nœuds, c’est royal. Il a fallu faire quelques changements de voile, notamment du côté des Canaries où il y avait 30 nœuds, mais ce ne sont que des manœuvres en ligne, donc pas trop lourdes. J’ai fini de passer les Canaries, la mer s’est rangée, elle est plus agréable que lorsqu’elle était croisée, hier.
Cela doit vous réconforter de pouvoir enfin mettre du tempo...
Ah, ça fait du bien. Moralement, j'ai des hauts et des bas. Là, je suis triste pour Alex (Thomson), parce que ça fait chier pour lui, ça fait chier de le voir ralentir. Il a une grosse réparation à faire, ce n’est vraiment pas cool. J’ai pensé à lui toute la journée. Je lui adresse mon soutien, j’espère qu'il va réparer et vite revenir dans la lutte. Mais quand je vois que je suis 3000 milles derrière la tête, que je suis dans l’Atlantique Nord alors qu’ils sont en bas de l’Atlantique Sud, ce n’est pas facile à vivre. Je profite de ce que le bateau aille bien, et j’avance heure par heure.
Vous trouvez l’équilibre entre le besoin de remettre du charbon et la nécessité de préserver le bateau ?
C’est compliqué, parce que ce ne sont pas des bateaux faciles à vivre. Pour les pousser, il faut de la motivation, et cette motivation vient de la concurrence. C’est elle qui te pousse dans tes limites. Dès que le bateau va à 16 nœuds, il siffle et tu dois remettre un casque. Et ça devient stressant. Ce n’est pas facile de pousser sauf si la concurrence est là ; il vaut mieux être au contact pour avoir envie de pousser. Il faut que je trouve un rythme soutenu parce que j’aimerais bien recoller à du monde avant les mers du Sud. Et quand ce n’est pas facile, je laisse le bateau faire.
Vous avez reçu énormément de messages d’encouragement, beaucoup de marques de respect, dont celui de Jacques Caraës, le directeur de course, qui vous a écrit comme l’ami qu’il est… Cela vous réconforte ?
Je n'ai pas eu tous les messages, on m’a partagé celui de Jacques. Jacques sait ce que je pense de lui… On se connaît depuis longtemps, il m'a appris les drisses, ce qu’il faut savoir pour faire du bateau en équipage, et en solitaire. Il est un excellent directeur de course.
Je sais que je reçois des messages dans tous les sens, et c'est assez étonnant. Pourquoi tout ça alors que tu es dernier de la course ? Est-ce que je le mérite, au regard de mon classement ? Mais dans cette phase difficile, ça fait du bien, il faut s’en imprégner. J’essaie de ne pas trop mettre d'émotion, parce que sinon, si tu commences à penser à tout, tu ne fais plus rien. Mais ça fait du bien que les gens se soucient de moi et c’est toujours aussi dingue que les gens se passionnent ainsi pour cette course.
Justement, des études montrent que le public se passionne plus pour votre histoire, le Vendée Globe, que pour le Tour de France cycliste.
C'est incroyable pour moi qui suis un grand fan du Tour ! Se hisser au niveau du Tour de France est exceptionnel. Je ne suis pas formaté pour l’aventure, pour ce que je vis actuellement, mais je me rends compte que ce qui apparaît d’abord comme une aventure technique, ce n’est finalement que de l’humain. Les gens sont passionnés par ça, et c’est légitime. Je me rends aussi compte que c’est dingue de connaître aussi peu un sport que j’ai pratiqué toute ma vie. J’ai fait de la voile toute ma vie et je ne connais pas : je découvre une facette plus empreinte d’humain que je l’imaginais
Samedi, un de vos héros, Thomas Voeckler, était présent sur le plateau du Vendée Live. Dans sa carrière pro, Thomas a couru l’équivalent de 9 Vendée Globe. Cela vous laisse de la marge pour y revenir !
(Il rit) Thomas est un sacré bonhomme, il a fait vibrer la France. C’est bien aussi que des gens de sa dimension s’intéressent à nous ».