Stéphane Le Diraison : « Je voyais foncer sur moi des immeubles »

Par Figaronautisme.com

Stéphane Le Diraison (Time for Oceans) en aura vu de toutes les couleurs avant de franchir le cap Horn, aux alentours de midi ce jour. Ce matin, il a raconté en détails ce qu'il a vécu dans le grand Sud. Impressionnant.

Stéphane, te voilà bientôt au bout des mers du Sud !

"Le cap Horn, c’est dans 80 milles ! Je profite de mes derniers instants où je peux pisser et cracher sous le vent, ensuite, je serai tenté de faire tout ça face au vent, je ne sais pas ce que ça va donner (il se marre). Ce n'était pas 'gratos’ d'aller vers lui. Ah le cochon, il se sera fait désirer jusqu'au bout ! Je me suis fait 'empétoler’ cette nuit ; j'étais dégoûté ce matin. Je suivais attentivement les fichiers pour ne pas me faire avoir, et le vent a complètement molli. J’ai essayé de comprendre : la prévision avait complètement évolué et j'étais au cœur de la pétole. C’est anecdotique, mais passer en deux heures, de force 8 à force 0, c’est bien que je suis maudit ! Je me retrouve donc avec un vent mollissant, et sur une route pas directe. L’approche aura été longue : ça fait 48 heures que j'ai l'impression que j'arrive au cap Horn. Ce devrait être pour de vrai, ce midi.

Ta route Nord te met sur une trajectoire sympa !

Je vais passer au plus près, à deux milles du caillou. Ça va être singulier. Il me reste un empannage dans 30 noeuds de vent. J’en ai eu une sacrée collection dans ce Pacifique... Ce n'est pas ce que je préfère : quand la grand-voile passe, tu as l'impression que tu vas péter toutes tes lattes. Ça va être une belle journée. J'ai hâte de vivre ce moment mythique. Ensuite, je vais faire du Nord et le thermomètre va remonter. Ce ne sera pas de refus : j'ai approché le cap dans un vent de Sud-Ouest, glacial. C’est vivifiant, mais j'en ai ras le bol de devoir mettre des gants pour dormir : tout est humide, trempé et tu vis emmitouflé… mais les mains dépassent.

Comment s'en est sorti ton bateau ?

L’aventure suivante sera de guetter un moment propice pour monter dans le mât afin de retendre le gréement. Ça fait 10 jours que je dois le faire, mais je n’avais pas les conditions. Je suis en retrait par rapport au potentiel du bateau. Quand tu es sous trois ris dans la grand-voile, ce n’est pas l'important ; ça compte maintenant que les conditions sont plus maniables. Je suis à 70% des polaires. J’ai hâte de grimper quasiment jusqu’au capelage pour aller mettre deux tours de clé de 10, je ne vais même pas avoir le temps d’attraper le vertige ! Je vais attendre d’avoir une mer plus calme, peut-être aux Malouines. Devoir naviguer en retrait, en veillant en permanence au mât, c’est usant nerveusement et j’ai aussi envie de retrouver la sérénité.

Tu sembles avoir bien récupéré, après le gros coup de vent d’il y a quatre jours. Quels souvenirs garderas-tu de ton grand sud ?

La houle du Pacifique, c'est quand même un truc de dingue. Elle m'a fait du mal dans tous les sens : c'était usant physiquement, nerveusement. Il y a quatre jours, la grosse cartouche a succédé à plein d'autres. J’ai enchaîné les fronts. 45 nœuds, ça va bien, mais quand on attaque les 60, c'est beaucoup, c'est énormément de manœuvres. Parce que je joue le jeu à fond : ma place au classement est justifiée par mille choses, mais pas parce que je ne me bats pas. Je suis vraiment dessus. Il y a eu plein de transitions avant la grande cartouche. J’ai eu 35 nœuds une nuit, j’avançais 'trois ris - solent’ et le vent est redescendu. J'ai passé alors tous les intermédiaires, j'ai passé toutes les voiles d'avant et j'ai refait le cheminement dans l'autre sens quand le vent est revenu. En 24 heures, j'avais pris ou relâché 10 fois des ris, fait 4 changements de voile d'avant. Bref, je suis entré fatigué dans la cartouche et elle fut terrible : je me faisais sortir de la couchette. Je voyais foncer sur moi des immeubles. Le fichier m’annonçait de la houle de 7,5 mètres. Ça, c'est la moyenne du tiers des vagues les plus hautes. Quand tu es sur cette moyenne de fichier, ça veut dire que tu en vois régulièrement à 10 mètres et qu’il y en a plein à 8 ou 9 mètres.

Comment t'es-tu senti, alors ?

Ce n’est pas ‘détente’. Il faisait petit mon bateau. J'ai un hublot qui me permet de regarder sur l'avant, j'ai fini par ne plus regarder dedans. Quand je regardais vers l'avant, je devais descendre la pente à 30 degrés, peut-être. Le bateau descendait et j’avais l'impression que j’allais sancir. J’ai fini par ne plus regarder vers derrière non plus : des montagnes qui déferlaient sur le cockpit.

Je suis sorti une fois dans une relative accalmie, pour voir si tout allait bien. Je restais dans le cockpit, hein. Là, j’entends un grondement. J’ai juste eu le temps de me jeter contre le panneau, qu’une montagne d’eau remplissait entièrement le cockpit ! J’étais dans l'eau entièrement ! Les conditions ont été dantesques, usantes physiquement ; j’ai été projeté dans tous les sens. Nerveusement ausi, je suis allé chercher loin.

Je serais curieux d’avoir les statistiques de la flotte. Il me semble que je suis celui qui a eu le plus de petit temps (une pétole m’a collé 4 jours durant avec les voiles qui battaient), mais je dois être aussi celui qui gagne le record du gros temps. Cali (Arnaud Boissières) et Alan (Roura) ont pris aussi, mais ils avaient moins de vagues. J'ai eu la leur, de cartouche ; j’en ai pris une aussi en Tasmanie, j’ai connu une dépression tropicale en Afrique du Sud. Pour moi, cela aura été le Vendée Globe de tous les contrastes.

Mon rêve maintenant ? Une remontée à 20 noeuds de vent travers !"

Stéphane Le Diraison / Time for Oceans

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Nathalie Moreau
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Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
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