Clarisse Crémer (Banque Populaire X) va entrer dans une période de calmes. De grands calmes. Enthousiaste, mais animée par l'impression d'être en décalage, la navigatrice est immergée dans son monde, et elle voit le reste comme venant d'une autre planète...
« C’est calme et ça fait du bien. C’est sympa, on a l’impression de naviguer sur un lac, après le grand Sud. Ça a bien tapé jusqu’à hier et, désormais, ça file tout droit, j’en profite. Mais j’ai peur que cela soit bientôt trop calme. Ce matin, le vent est stable, mais ça va se gâter dans la journée, et pour un bout de temps : on va taper de la « molle de chez molle » avec Armel (Tripon). Cela va durer deux-trois jours je pense : les fichiers ne savent jamais trop, et les routages, optimistes, te font avancer sur la route même quand il y a un nœud de vent.
Les gens imaginent que la pétole est reposante, mais en réalité, le bateau fait des 360° et c’est énervant. Le repos, c’est lorsqu’il y a 5 ou 6 nœuds de vent, sinon, il faut être « dessus ». Tout ça est rigolo : il faut changer de mode et d’état d’esprit.
Il va falloir que je monte au mât pour m’occuper de mon J2, que je ne peux pas utiliser pour le moment. Je me sentirai mieux quand je l’aurai fait. Je ne joue pas pour la gagne, et ce n’est pas la fin du monde si je ne le récupère pas, mais je suis concentrée sur ce sujet. Je ne suis pas encore montée au mât, il faut que je fasse ce baptême en pleine mer ! J’ai besoin de coller un patch de 3DI assez haut, sur la chute du J2. Je vais attendre le bon moment pour le faire : il me faudrait entre 5 et 8 nœuds de vent pour que les voiles ne tapent pas.
J’espère parvenir à l’atteindre, avec mes petits bras. Je ne suis pas sûre de me lancer dans « l’affalé » du J2 : vu le peu d’énergie qu’il me reste, je serais cramée jusqu’à la fin si je devais le faire.
J’ai bien résisté à Armel (Tripon) et j’en suis contente ! Je n’avais pas de J2, lui n’avait plus de FRO, chacun a fait avec ses soucis, et je ne m’en suis pas trop mal sortie dans la remontée. C’est cool d’avoir un compagnon de pétole. On papote, il m’a dit qu’il n’avait pas beaucoup de nourriture, j’hésite à le ravitailler ; en échange, il m’a glissé des conseils pour recalibrer mon aérien qui me pose des soucis. Dans les alizés, il va faire parler la poudre : son engin volant va envoyer du bois, tant mieux pour lui !
Le moral ? Il va bien, mais j’ai du mal à revenir de la vie sauvage. Je ne comprends pas tout, j’ai une drôle de transition entre les mers du Sud et ici. J’ai du mal à réaliser qu’on n’est pas loin de l’arrivée. Le repère, c’est Salvador de Bahia, d’où j’ai fait mon premier convoyage en solitaire l’an dernier au retour de la Transat Jacques Vabre. J’ai l’impression d’arriver dans un tronçon du globe que je connais, sur un truc que j’ai déjà fait. Et plus le temps passe, plus je suis stressée par la crainte de devoir abandonner. Bref, j’ai le moral, mais je suis un peu perdue. Je commence tout juste à retrouver un rythme, je réussis un peu mieux à organiser ma vie à bord, mais je suis toujours un peu comme un animal.
D’une manière générale, on a du mal à prendre du recul et à se contenter d’avancer. Mon lien à l’extérieur est un peu dur aussi, ce n’est pas facile de répondre aux gens qui te demandent comment ça va ; je suis abonnée à lemonde.fr, un des rares titres que je lis sur l’eau, mais depuis quelque temps, je ne me sens pas concernée par le truc, j’ai l’impression que c’est une autre planète… »
Clarisse Crémer / Banque Populaire X