Pip Hare a envoyé un message du bord ce jeudi 21 janvier.
« J'étais si heureuse de voir le lever du soleil ce matin. La nuit a été longue et si vous regardez ma trace, vous comprendrez pourquoi. Je suis entrée dans un pot au noir et sans données fiables sur le vent, cela m’a demandé beaucoup d'énergie cette nuit.
J'ai passé la plus grande partie de la journée d'hier sous la lourde couverture nuageuse du front de ces derniers jours. Au fur et à mesure, dans l'après-midi, les nuages ont commencé à s'amincir et le vent a commencé à se calmer alors que j'approchais de la limite Nord du front. Je savais que les choses allaient se compliquer.
Le pilote s'était bien débrouillé ces derniers jours en mode compas, mais lorsque le vent a commencé à faiblir et à devenir instable, la vitesse de mon bateau a chuté. C'est difficile de gérer quoi que ce soit quand on sent que le bateau n'est pas performant. Si vous percutez une vague avec un mauvais angle, vous sentez une perte de puissance. Je peux être absorbée par autre chose, mais mon subconscient enregistre toujours la vitesse du bateau par le ressenti. Une perte de vitesse déclenche dans ma tête des pensées qui me rongent sans cesse jusqu'à ce que la situation soit rectifiée.
En début de soirée, il était clair que le pilote n’allait pas bien fonctionner en mode compas. Le vent était trop instable, les vagues dans la mauvaise direction. Sans aucune donnée fiable sur le vent, je me tenais sur le pont et je regardais les voiles pour comprendre dans quelle direction le vent avait tourné. J'étais sur la télécommande du pilote, incapable de dormir, de manger, de naviguer ... de faire quoi que ce soit. Avant le crépuscule, les choses semblaient un peu plus stables. J'ai donc essayé de dormir une heure, mais dès que je me suis couchée, le vent a chuté et le bateau m'a semblé trop à plat. Je me suis levée et j'ai modifié l'angle de navigation du bateau de quelques degrés avec la télécommande du pilote en restant dans mon pouf. Le vent s'est alors levé et nous avons trop gîté. Il était impossible que mon cerveau se mette suffisamment en veille pour dormir, j'ai donc accepté le fait que mon bateau avait besoin de moi.
Pour la première fois depuis de nombreuses semaines, hier, j'ai barré Medallia et c'était magnifique. J'ai pris une tasse de thé, j’ai mis quelques sons géniaux (Daft Punk et Muse) et je me suis installée sur le pont pour me frayer un chemin à travers les vagues pendant cinq heures, jusqu'à ce que la nuit tombe, que mon cou et mon dos soient fatigués et qu'un gros nuage apparaisse au-dessus de nous et vole tout le vent. Depuis lors, la nuit a été un mélange de pluie, de vent dans toutes les directions, d'absence de vent… Au moins, nous naviguons à nouveau maintenant.
Mon pilote automatique est une machine incroyable. Lorsqu'il fonctionne à plein régime avec les données du vent, il dirige le bateau de façon si constante que je n'ai pas besoin de penser à prendre la barre. La vérité est que la plupart du temps, il sait mieux diriger le bateau que moi, et puis il ne se mouille pas, ne se fatigue pas, ne se refroidit pas et ne se laisse pas distraire comme il ne peut pas voir les vagues. Les multiples capteurs sont capables de sentir l'accélération et la gîte du bateau et de juger exactement comment surfer sur une vague. Jusqu'à présent, il m'avait fait perdre mon poste de barreuse, ce qui m'a libéré du temps pour gérer le reste des multiples tâches à faire sur le bateau.
Malgré ma fatigue et ma frustration, j'ai apprécié de barrer la nuit dernière. J'ai toujours été une barreuse très active lors des courses en solitaire. Sur tous mes bateaux précédents, j'ai passé des heures et des jours à la barre, bloquée en position, à sentir chaque partie du bateau. Cela me permet d'être en lien avec la météo et les conditions. Vous ressentez directement chaque changement. Je prenais le contrôle, j'utilisais mon propre cerveau pour réagir aux nombreux changements sur l'eau et je me frayais un chemin à travers les conditions compliquées. Je n'ai pas encore été totalement supplantée par une machine.
Je ne peux pas barrer pour tout le reste de la course, lorsque les conditions deviendront plus stables, le pilote sera à nouveau roi. En attendant, je dois trouver un équilibre entre le temps passé à la barre, le sommeil et toutes les autres tâches qui doivent être accomplies. En ce moment, c'est le pilote qui conduit, il a fait un excellent travail jusqu'à présent, mais nous venons de frapper une vague dans le mauvais angle. Je ne peux pas l'ignorer, je ne peux plus me concentrer sur quoi que ce soit d'autre. »
Pip Hare / Medallia