
Si l’océan Indien a été à la hauteur de sa « mauvaise » réputation, le Pacifique, plus grand océan du monde, n’a depuis quelques jours jamais aussi bien porté son nom.
Depuis l’Australie, un vaste anticyclone se déplace en même temps que la flotte naviguant par 53 degrés sud, le long de la zone d’exclusion des glaces. Ces hautes pressions génèrent des vents modérés de secteur nord-ouest, alors que dans cette partie du globe, les marins affrontent généralement les pires tempêtes. Est-ce dû au fameux dérèglement climatique perturbant les schémas météo classiques ? Pas uniquement. Il n’empêche que les concurrents de The Ocean Race profitent de ces belles conditions pour faire des « ateliers » réparation dans la bonne humeur.
Christian Dumard, le météorologue de la course relativise : « il est vrai que ce ne sont pas vraiment des conditions auxquelles nous sommes habitués dans les cinquantièmes. Mais il faut rappeler que c’est la fin de l’été austral donc les dépressions circulent plus sud (comme chez nous mi-septembre dans l’hémisphère nord, avec souvent du beau temps à nos latitudes). A partir de ce lundi, on ne devrait plus avoir ce blocage avec des vents erratiques et faibles devant la flotte. Ça va donc redevenir une course de vitesse. Je pense que le fait de passer deux mois plus tard que le Vendée Globe joue pas mal... »
Sam Davies à bord de Biotherm, skippé par Paul Meilhat, dispute là son quatrième tour du monde en course, et elle n’en fait pas mystère : « nous avons une longue « job list » avant de retrouver une météo plus compliquée et tonique sur la route du cap Horn… »
Charlie Enright, skipper de 11th Hour Racing Team, lui aussi « vieux » routard des tours du monde, dont le bateau n’a pas été épargné par les ennuis techniques entre safran et grand-voile, ne s’épanche pas sur le temps passé à bricoler : « pour être tout à fait honnête, les conditions météo n’ont pas été horribles comptes tenus de la partie de la planète où nous sommes… mais nous devrions rapidement retrouver une bonne accélération vers le Horn. »
« Ce n’est pas que la plus longue étape jamais disputée dans le tour du monde en équipage avec escales, mais une régate côtière, une étape de la Solitaire du Figaro, voire même du match racing ! » rigole un vétéran de The Ocean Race en regardant les classements de façon compulsive. Dimanche 19 mars à 21 heures UTC, après plus de 7700 milles parcourus et 21 jours passés en course, il y avait moins de 3,7 milles d’écart entre le premier et le dernier de la flotte. Du jamais vu, et un véritable jeu de chaises musicales, chaque concurrent prenant à son tour la tête du classement. Quant aux Onboard Reporters, quand ils n’épongent pas les fonds, ils ne manquent pas d’envoyer à terre des images des bateaux naviguant à vue.
Indéboulonnable leader durant les deux premières semaines de course, Holcim-PRB, a vu sa colossale avance de 550 milles, fondre comme neige au soleil. Au réveil et en consultant le dernier classement, Kevin Escoffier semble un rien désabusé : « on vit avec la pression quotidienne du retour de nos adversaires par derrière, dû à une situation météo injuste il faut le dire ! » Puis en cliquant sur Biotherm à l’AIS (Automatic Identification System), cet outil permettant de connaître l’identité, la position, la vitesse et la route des bateaux alentour, il éclate de rire en remarquant que le picto clignotant sur l’ordinateur n’était pas celui d’un monocoque IMOCA, mais bien celui d’un multicoque, Paul Meilhat ayant dû emprunter l’AIS de son catamaran de croisière.
A bord de Team Malizia et de Biotherm, c’est un peu « la croisière s’amuse ». Tels des enfants un lendemain de Noël, Antoine Auriol l’OBR, Rosalin Kuiper et Will Harris jouent au drone, ces deux derniers mimant les acteurs à l’avant du bateau… comme dans le film Titanic. Sous un ciel dégagé, une mer à peine agitée et dans une dizaine de nœuds de vent, le bateau glisse sans efforts. Il faut se pincer pour se dire que Team Malizia navigue au cœur du Pacifique. Encore mieux, l’énergique Néerlandaise Rosalin, hissée en tête de mât pour un check complet du gréement, chantonne à 29 mètres de haut, et filme ses concurrents naviguant à vue comme dans un parcours en baie. Hallucinant !
A bord de Biotherm, Damien Seguin improvise un théâtre de Guignol. Hilarant ! Toutes et tous savent qu’il faut profiter de ce week-end de répit, car sur la route du Horn, le Pacifique montrera son vrai visage.
Ce lundi 20 mars à 9 heures, à une petite semaine du cap Horn, Holcim-PRB accélère et reprend la tête devant 11tH Hour Racing Team, Team Malizia et Biotherm, les quatre bateaux n’étant séparés que de 8 milles ! Une dépression et des vents d’ouest sont attendus mercredi. L’équipage qui parviendra à se positionner en avant du front pourrait bien prendre la « poudre d’escampette ».
Quant à Guyot Environnement-Team Europe, il est actuellement en convoyage pour Itajaí, après l’incroyable réparation du fond de coque à Cape Town, « un énorme défi technique, mais également logistique » selon son skipper Benjamin Dutreux.