PAROLES DE SKIPPER (2/6). Jusqu’au départ, les skippers dévoilent un à un leur état d’esprit, leur motivation et leur façon d’aborder ce défi de géant. Aujourd’hui, place au dernier à s’être lancé dans l’aventure : Éric Péron. Touche-à-tout du large (olympisme, Figaro, IMOCA, VOR70, Ocean Fifty), le marin de 42 ans s’est employé comme jamais pour réunir un budget, des sponsors et s’élancer dans la course. « J’ai la sensation d’être parti depuis plusieurs semaines », disait-il à l’ouverture du village la semaine dernière. Le lendemain matin, entre deux obligations, il a pris le temps de se confier à bord de son bateau (ULTIM ADAGIO) avec ses cernes légèrement creusées et sa marinière sombre. Éric Péron révèle une sacrée motivation – « si je termine, on aura de belles surprises sur le résultat » - et ne cache pas une légère forme de fragilité, comme pour prendre la mesure exacte de ce challenge hors norme.
Pourquoi s’être lancé dans cette aventure ?
J’ai envie de me mettre des défis depuis toujours. Faire le tour du monde en solitaire et en Ultim, c’est le genre de défi que je voulais me donner.
Certains de tes concurrents le préparent depuis plusieurs années, toi depuis une poignée de mois…
Évidemment, quand on a la chance d’avoir un sponsor depuis longtemps, on a le temps de tout programmer. Mais il faut bien commencer quelque part ! Moi, j’ai eu écho que ce bateau était à louer (l’ex-Merci). S’il y a bien quelqu’un qui doit le louer, c’était moi. Je n’ai pas autant d’années et de préparation que les autres mais c’est la philosophie de notre projet. On ne va pas tout réinventer. Je préfère partir dans ces conditions-là plutôt que de ne pas partir.
Quelles ont été les étapes de ce projet ?
Au départ, il a fallu se dire que c’était possible et monter le projet. Ensuite, on l’a présenté à des financeurs, les sponsors. Ça n’a pas été facile parce que la course n’est pas encore connue, c’est une grande première donc il fallait expliquer la course d’abord et parler de mon projet après ! Ça a été dur, ça a pris du temps et c’est pour ça qu’on est arrivé tard. Moi j’y ai cru jusqu’au bout tant que techniquement j’estimais que c’était faisable. Là, on est tout juste prêt.
Quel est ton objectif sportif ?
C’est de terminer la course. Et je pense que si je termine, on aura de belles surprises sur le résultat.
On sent que tu restes compétiteur…
Oui. En fait, je ne sais pas faire avancer un bateau lentement. Même si je suis prudent, j’avancerai à la hauteur de ce dont je suis capable de donner. Après, il y a des bateaux plus rapides que le mien. On ne va pas faire de pronostics, il faut déjà faire le tour, ne pas trop regarder les autres. Les machines sont tellement éprouvantes, les risques sont nombreux… C’est davantage une course contre nous-mêmes. Et l’important, c’est de finir.
En quoi ta saison en Ocean Fifty a été précieuse dans ton apprentissage de l’Ultim ?
Quand j’ai réfléchi au projet, la question s’est posée de passer directement à l’Ultim ou de passer par l’Ocean Fifty. Pour des raisons de moyens, on a privilégié la 2e option et je suis content de ce choix. L’Ocean Fifty est peut-être la meilleure école pour s’approprier les automatismes de la gestion d’un trimaran, alors que c’est encore plus exigeant en matière de manœuvre et de conduite du bateau. Ça a permis de bien renforcer mes automatismes avant de faire face à d’autres problématiques liées à la taille du bateau.
Est-ce qu’il y a une appréhension, une peur, à l’idée de s’élancer pour ce tour du monde ?
Il n’y a que les quatre qui l’ont déjà fait (le tour du monde en solitaire et en multicoque NDRL) qui peuvent le décrire. J’ai un peu peur effectivement que ce soit au-delà de ce que j’ai imaginé. Mais c’est ça que je suis venu chercher et je sais que je serai parfois à la limite de ce que je suis capable. Je crois qu’il s’agit du meilleur moyen de savoir ce dont on est capable. Ça m’intéresse de savoir jusqu’où je peux aller, j’ai hâte de le vivre.
Tu as dit « ce bateau sera ma maison ». Peux-tu décrire le lien que tu as avec ?
Il va endosser comme moi ce tour du monde. Il faut que je le garde en bon état pour faire ce bout de chemin ensemble donc c’est forcément un lien un peu particulier. En général, j’aime dire que je ne m’attache pas au bateau mais ce n’est pas vrai. Il se peut qu’il ait mal mais ça fait partie du jeu. S’il n’a pas de bobos, ça voudrait dire aussi que je n’ai pas assez « tiré » dessus.
On a la sensation que ce n’est vraiment pas une course comme les autres…
Chacun d’entre nous a une part d’inconnu dans cette histoire, même Thomas (Coville) qui a fait plusieurs fois le parcours. Mais c’est ce qui m’intéresse aussi, sinon on ne fait que répéter les choses… Cette nouveauté, elle me plait.
En vivant dans ta maison finistérienne, entouré par les moutons, tu as un lien très fort avec la terre. Comment vis-tu le fait d’en être éloigné pendant plusieurs semaines ?
Je crois que si je pars pour vivre cette aventure, c’est pour vivre mon autre amour qu’est la mer. Et je pense que lorsque je vais revenir à terre, je vais encore plus apprécier mon amour de la terre. Quelque part, ce qui me pousse à faire ce tour du monde le plus vite possible, c’est le fait de rentrer.