ARKEA ULTIM CHALLENGE : Thomas Coville « parfois en mer, on devient fou »

Par Figaronautisme.com

PAROLES DE SKIPPERS (3/6). Jusqu’au départ, les skippers dévoilent un à un leur état d’esprit, leur motivation et leur façon d’aborder ce défi de géant. Ce mercredi, c’est au tour du skipper de Sodebo. 55 ans, 8 tours du monde, 1 record en multicoque et en solitaire (49 jours en 2016). Mais Thomas Coville, c’est bien plus que ça. Avec sa personnalité entière, il offre à tous ses pensées, ses divagations, son introspection, son regard sur la condition des hommes. Les passionnés de voile ont grandi avec ses réflexions et sa façon de donner à chacun de ses challenges une portée unique tout en étant universelle. Coville parle de lui, de ses défis et de son rapport à la nature mais il parle aussi de nous. Autre paradoxe : sa capacité à défier le temps en permanence en mer tout en sachant prendre le temps dès qu’on lui demande de se confier. C’est ce qu’il s’est passé l’après-midi où il nous a répondu, quelques jours avant l’ouverture du village. Thomas était au volant, exalté, enthousiaste, enjoué. En somme, fidèle à lui-même. Démonstration.

Qu’est-ce qui fait que cette course est aussi spéciale ?

C’est une course qui marquera l’histoire. Avec cette course, nous sommes des pionniers. Je l’avais imaginé il y a presque quinze ans et on en était encore très loin. En revanche, jamais dans mon imagination je n’avais envisagé de le faire à bord de bateaux aussi grands, aussi rapides et aussi volants. Ce qui est incroyable c’est que la première question qu’on se pose, ce n’est pas tellement « qui va gagner » mais « est-ce que c’est faisable » avec la technicité et l’engagement nécessaire.

Il n’y a pas plus difficile en course au large ?

À bord d’un monocoque, si tu fais une erreur tu te couches sur l’eau, tu peux te faire mal mais tu peux continuer la course. À bord d’un multicoque, tu chavires et la sanction ultime, c’est la mort. Ça s’apparente à un alpiniste qui dévisse sur une paroi qu’il gravit en solitaire. Comme lors des premières explorations de l’Everest, on ne sait pas vraiment si on peut le faire. Nous allons nous rendre dans des zones très peu fréquentées à bord d’engins de haute technologie. Il y a un alliage entre l’innovation, le caractère technologique, l’esthétique de la vitesse et tout ce que représente la fragilité d’être tout seul.

« L’envie doit venir des tripes »

Tu as tenté cinq records autour du monde en multicoques, en a terminé trois avant de s’offrir le record (49 jours en 2016). Quel est ton rapport avec ce parcours-là ?

Il m’intéresse, il me passionne. J’apprécie sa permanence dans le temps, la notion du temps que cela induit. La permanence de l’effort pendant un tour du monde m’intrigue. Ce qui m’intéresse, c’est de durer, comme dans les relations en général. Et puis je suis tombé dingue du tour de l’Antarctique où il n’y a pas d’échelle de valeur, où on se sent toléré, tout petit et pas jugé. Passer le Cap Horn, c’est comme si on nous avait laissé une vie supplémentaire. C’est fascinant !

Pourquoi ce tour du monde est aussi dur ?

On m’a souvent demandé pourquoi j’y allais, si je prenais du plaisir. Mais je pense que ça dépasse ça : l’envie doit venir des tripes. Il y a une dimension supplémentaire dans le dépassement de soi. On va chercher une part de douleur, d’abnégation, de découverte dans le fait de ne pas dormir, d’être frustré, d’être dans l’angoisse que les glaces nous fassent chavirer, d’avoir froid… Mais l’homme est une espèce animale un peu bizarre et sa magie, c’est de pouvoir s’adapter à toutes les situations. J’aime avoir l’impression d’être un bon marin, être l’homme que je suis et ne pas être un imposteur. D’une certaine façon, il s’agit d’une expédition.

 

« Nous sommes la génération bénie des dieux »

Un tour du monde change-t-il un marin ?

Oui, on n’en sort jamais totalement pareil. Il y a toutes ses sensations, ses émotions, ce supplément d’âme nécessaire… Le fait d’en avoir fait plusieurs permet de relativiser mais aussi de prendre conscience de la chance que nous avons. J’adore l’époque dans laquelle on vit. Même si l’actualité est anxiogène, je reste un éternel optimiste. Et puis nous sommes la génération bénie des dieux, celle qui vit la mutation de notre sport, celle qui peut faire en solitaire le tour du monde sur des bateaux de 32 mètres…

Comment tient-on la distance, comment ne devient-on pas fou ?

Mais on devient fou ! Il y a des jours où on éclate en sanglots, où on hurle, où rien ne va… Je n’ai pas de costume de héros, je rentre toujours en étant entre la gueule cassée et le grognard. Parfois, je trouve que l’on ressemble à ces bois flottés qu’on voit sur les rivages : ils sont tellement laminés qu’il n’y a plus rien, que du blanc, épuré au maximum.

Je me souviens d’Ellen MacArthur (détentrice du record en 2005, 71 jours) qui m’avait dit, après mon record : « maintenant je sais que tu sais ce que je sais ». Malheureusement, il faut accepter qu’à terre, vous ne pourrez pas comprendre. J’en ai parlé avec Thomas Pesquet qui m’avait dit, à propos de ses séjours en espace qu’il « fallait que j’accepte de ne pas comprendre », qu’il fallait me laisser guider par mon imagination. Mais on partage ensemble le fait d’avoir vu la terre différemment, de pouvoir mieux la dimensionner, d’y associer un espace temporel.

À l’arrivée, est-ce que tout paraît fade, est-ce qu’il est difficile de retrouver un quotidien ?

Il y a eu des tours du monde douloureux pour cet aspect-là parce que je me sentais beaucoup plus seul à terre que sur le bateau. Je n’en veux à personne, ce n’est pas parce qu’on ne m’aimait pas mais parce que ce qu’on fait est difficilement compréhensible. Un marin se rapproche d’un insulaire : il fait le choix de partir en ayant secrètement peur qu’on l’oublie, puis qu’on le regrette et à l’arrivée il voudrait qu’on l’aime. Partir est finalement très égoïste, un peu décaler. Mais j’ai déjà expérimenté les contradictions qui m’ont fait le plus mal et ça m’a permis progressivement de moins ressentir cette souffrance. Ça m’a rapproché de ma femme, de mes deux enfants, de ceux que j’aime. J’étais peut-être comme marin et compétiteur dans un amour conditionnel. Ils m’ont fait comprendre ce qu’était l’amour inconditionnel. Et ça me permet d’être plus léger et apaisé à l’idée de mon retour.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte Lacroix
Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...