Quel est ton état d’esprit du moment ?
Les derniers jours sont toujours un peu longs mais je me sens concentré et plutôt impatient de partir. Étonnement, je ne suis pas stressé. Je vois plus ce challenge comme une aventure plutôt qu’une course. Peut-être que ça va changer une fois qu’on sera lancé. C’est tellement long que je n’ai pas envie de me prendre la tête maintenant. Je garde de l’énergie pour les moments durs ! La météo du départ est bonne, pas difficile pour le bateau et le bonhomme.
Qu’est-ce que ce départ a de différent des autres ?
Pour toutes les autres courses, je sais à peu près où je vais. Là, il y a pleins de questions qui émergent. Je ne sais pas comment je vais me comporter pendant 45 jours. On n’a pas encore réussi à faire un tour du monde avec ces bateaux-là sans avarie. Je pense que les bateaux sont prêts, qu’on a tout pour le faire. Mais nous partons tous dans une aventure, on ne maîtrise pas toutes les paramètres.
« Je me sens armé pour ça »
Tu évoques souvent l’idée de ne pas savoir comment tu vas te comporter… C’est juste que ce n’est pas anodin de passer 45 jours seul sur un bateau de cette taille. Personne ne l’a fait à de telles vitesses et à bord de bateaux volants. Ce n’est pas une angoisse, ça ne m’inquiète pas, c’est simplement une question que je me pose et un challenge que j’ai envie de relever. Je me sens armé pour ça et je suis surtout curieux de voir comment ça va se passer.
Il y a plus d’appréhension à se retrouver seul autour du monde ou à plusieurs comme à la Volvo Ocean Race que tu as remportée deux fois ?
Je trouve que c’est plus difficile de se retrouver face aux autres. Je suis plus à l’aise en solitaire. Maintenant, il y aura forcément des moments où je préférerais être six ou dix à bord. En équipage ou en double, tu arrives pendant tes périodes de sommeil à faire un vrai break. Là, tu as toujours une oreille sur le bateau et c’est ce qui est difficile en solitaire.
Est-ce que tu es fier de tenter ce tour du monde ?
Oui, forcément si je boucle le tour du monde, il y aura une fierté. C’est un objectif personnel que j’avais envie de faire, j’ai attendu très longtemps. Je suis tellement content d’être là que ça m’enlève tout le stress.
« Celui qui arrivera aura de bonnes chances de gagner »
À quoi va ressembler le début de course ? Avec les conditions qui sont attendues, on va être en limite de vol, ça ne sera pas facile de voler. Ça peut vite créer des différences de vitesse, de caps et entraîner des choix différents. Ce sera moins stressant mais exigeant donc bien usant. On préfère toujours être devant dès le début. Ça permet de poser un rythme et d’entrer les premiers dans le Sud. Si tu as de l’avance, tu peux gérer un peu mieux cette partie qui s’annonce longue et compliquée. Mais il va se passer tellement de choses… La ligne d’arrivée est très loin !
Après les multiples avaries que tu as connu à la Transat Jacques Vabre, tu expliquais « avoir beaucoup appris »…
Oui, je crois que ça m’a fait du bien d’avoir des problèmes, de les résoudre. Après, j’aurai eu ces problèmes sur le tour du monde, ça aurait été très handicapant. Mais je crois en ma bonne étoile. J’ai eu mes galères cette année donc je sais que la roue tourne, que les statistiques peuvent être en ma faveur (rires).
Armel Le Cléac’h dit justement qu’en regardant les statistiques tu es le grand favori. Tu partages son avis ?
Oui, il a raison (rires). Armel n’aime pas être favori. Après, on est quatre projets à viser la gagne avec des bateaux qui en sont capables, des équipes qui en sont capables… C’est impossible de donner un favori. Mais c’est sûr que je pars avec un bateau éprouvé, j’ai fait le plus de milles sur ce type de bateaux, je me suis retrouvé deux fois dans le Sud avec ces bateaux-là… Mais nous avons tous des parcours différents. Armel finit toujours ses tours du monde et toujours très bien placé. Celui qui arrivera aura de bonnes chances de gagner. Mais ça peut se jouer sur tellement de paramètres que la performance pure !
« Ne jamais se rapprocher de l’épuisement »
Thomas Coville nous confiait qu’à bord « on devenait fou parfois »… C’est vrai qu’avec la fatigue, l’épuisement, le ras-le-bol, on peut se mettre dans de sacrés états ! Mais Thomas doit mieux savoir que moi puisqu’il a fait 8 tours du monde en solitaire. Chacun sa façon de vivre les moments durs. Moi je suis plutôt quelqu’un de stable émotionnellement. Je m’énerve plus quand je perds des milles mais sinon ça va.
Comment fait-on pour tenir sur le long terme ?
La recette est connue même si ce n’est pas toujours évident. Il faut bien s’alimenter et ne jamais se rapprocher de l’épuisement et bien dormir. Si c’est le cas, tu peux avoir une baisse de moral mais pas « péter un cable ».
Est-ce qu’à terre on peut comprendre l’intensité de ce que vous allez vivre ?
Je ne crois pas parce que même moi je ne sais pas exactement ce que je vais vivre. J’ai une vague idée par expérience mais là, c’est le défi ultime, c’est difficile d’imaginer et de se projeter. On a envie que ça se passe bien mais il y aura forcément des moments où on perdra le contrôle. Même moi je ne sais pas dans quel état je vais me mettre. Peut-être qu’Armel et Thomas ont plus de réponses à ce sujet-là !