Le point du jour 3. On sait pourquoi Anthony Marchand a concédé du terrain la nuit dernière. On sait ce que les hommes de tête, échine courbée, yeux rivés sur les alarmes, vont chercher – et subir - dans l’ouest.
Depuis quelques heures, l’ambiance a changé à bord des six trimarans Ultim engagés dans cette première Arkéa Ultim Challenge – Brest. Après un temps calme, trop calme, l’atmosphère sent la poudre : il s’agit d’exploiter, plus que subir, la dépression qui les a rejoints depuis l’ouest et qui va glisser lentement sur leur route. La stratégie consiste à aller chercher les vents les plus forts dans la mer la moins formée possible. Le premier élément, pas plus que le second, ne sont faciles à dompter. En son centre, la dépression active des vents de plus de 37 nœuds sur les fichiers, auxquels il faut ajouter quelques pouillèmes, peut-être, sans oublier les rafales qui peuvent facilement être plus violentes d’une dizaine de nœuds. Les marins viseront plutôt dans la marge, où soufflent des vents de plus de 27 nœuds (en théorie), mais où la mer, déformée par cette dépression qui a traversé l’Atlantique, lève une houle de six mètres. En fin de nuit, une bascule de vent, qui passera du sud-ouest à l'ouest, permettra aux géants des mers de reprendre la route du sud.
« Une bataille planétaire incroyable »
Ce premier front est une première heure de vérité. Il constitue une première occasion de creuser des écarts, et peut-être un des premiers chausse-trapes de ce tour du monde. Comment s’opère la transaction entre la prise d’opportunité et les impératifs de la raison, dans la tête de chacun des skippers ? Il faudra attendre une petite journée pour savoir quel mode (conservateur, raisonnablement prudent, guerrier) les pilotes de haut vol auront abordé ce front dépressionnaire.
« Il y en aura un paquet, des tempêtes, assure Tom Laperche (SVR-Lazartigue) lors de l'émission hebdomadaire. On devrait réussir à bien anticiper, à trouver le bon routage entre le risque et la perte de distance. On va faire les choses dans l’ordre, être prudent. Il y a pas mal d’options, mais plus on passe nord, plus le vent est fort et la mer est formée ; plus on va dans le sud, plus le vent sera faible. Ce sont des choix toujours complexes »
Émerveillé par « cette régate (qui) commence très fort », Thomas Coville a livré quelques éléments de pensée, ce mercredi. « On se livre une bataille planétaire incroyable. Je ne pense pas que ça durera tout le temps, mais je ne pensais pas qu’on resterait si longtemps au contact. C’est passionnant à vivre de l’intérieur, on a une chance inouïe. Je ne sais pas combien de temps on tiendra à ce rythme, aussi rapprochés, mais ça met une émulation entre les bateaux que je n’imaginais pas. Une fois encore on découvre un autre monde ».
Antho prend une bâche
Au contact de la tête depuis le premier jour, Anthony Marchand a concédé du terrain, ce mercredi. Il lui a fallu du temps pour comprendre pourquoi Actual peinait, sans raison apparente. Il raconte ce diable de détail qui le pénalisait : « Ce matin, je n’étais pas très content de la vitesse du bateau à la fin de la nuit et ce matin. Les pourcentages polaires (l’exploitation des capacités de vitesse du bateau dans des circonstances données avec un plan de voilure donné) n’étaient pas bons, j’avais du mal à accélérer. En cherchant bien, après avoir analysé toutes les données du bateau, j’ai (vu qu’il y avait) une bâche blanche dans la dérive, difficilement visible, mais assez grande, qui m’a fait perdre 10 nœuds de vitesse, voire plus. Alors j’ai fait une marche arrière, exercice pas simple, mais réussi. Un bon entraînement. Sans cette bâche, les vitesses se sont de nouveau affolées, comme avant. Il faut des aléas et, si ce n’est que ça… »
Un temps freiné, Actual Ultim 3 a concédé un peu de terrain sur les leaders, SVR-Lazartigue, Maxi Edmond de Rothschild et Sodebo Ultim 3. Charles Caudrelier a avoué être « un peu déçu de la dernière nuit (mardi). J’étais au contact avec Sodebo, mais on a eu un trou de vent pendant plusieurs heures. On est resté coincé dans l’anticyclone, et on s’est fait passer. On fera le point demain, la nuit va être agitée ! » Rien de rédhibitoire : la route est si longue ! Intercalé, le Maxi Banque Populaire XI est 4e. Éric Péron a contourné Madère. Porté par du vent de nord-est, il ne devrait que peu subir les redoutés dévents de Funchal.