LA QUESTION DU DIMANCHE. Chaque dimanche, on vous propose un petit pas de côté. Objectif : offrir un nouvel éclairage, une notion à développer ou quelques secrets de fabrication à dévoiler. Pour débuter, on a décidé de s’intéresser à ce que mangeaient les skippers. « Pour tenir sur le long terme, il n’y a pas de secret : il faut bien manger et bien dormir », confiait Charles Caudrelier avant le départ. Alors côté nutrition, rien n’est laissé au hasard. Tous ont embarqué autour de 150 kg de nourriture à bord. Les marins s’alimentent en continu avec parfois quatre repas par jour, notamment dans les mers du Sud. Les plaisirs gustatifs ne sont pas oubliés au point que certains plats qu’ils ont embarqués raviront les papilles au moment du déjeuner dominical. Explications et petits secrets.
Charles Caudrelier, finis les soucis
Le skipper du Maxi Edmond de Rothschild avoue « avoir toujours eu des problèmes pour bien s’alimenter ». Il y a le souvenir désagréable des cantines scolaires et puis les plats lyophilisés à la Volvo Ocean Race. « J’avais l’impression qu’ils avaient tous le même gout ». Depuis, Charles Caudrelier mange mieux à bord et en profite davantage. «J’ai progressé, sourit-il. C’est important d’avoir de la nourriture de qualité avec laquelle on prend du plaisir ». Depuis deux ans, son avitaillement se partage entre les plats de Lise di Giulo (Nomad’s Kitchen) et du chef étoilé Éric Guerin (La Mare aux oiseaux). Ça lui plaît d’autant que ça a le don d’ouvrir l’appétit. « Un de mes plats préférés, ce sont des pâtes au jambon avec un peu de truffe ». Et puis il y a la fameuse lotte au Kari Gosse (un mélange d’épices d’inspiration indienne). « Armel en a mangé et il a adoré lui aussi ! »
Tom Laperche, la main à la pâte
Chez SVR-Lazartigue, on travaille avec une nutritionniste et on s’appuie, surtout, sur l’expérience de plusieurs années de compétition avec François Gabart. Et ça tombe bien puisque Tom et François ont aussi ce point commun là : « leur avitaillement se ressemble», confie Isabelle Magois, responsable logistique. Ainsi, même appétit des deux skippers pour les boîtes de thon, la viande séchée et le lait de soja. Surtout, les deux skippers apprécient « composer leur plat ». À bord, il y a donc « un tiers d’appertisé, un tiers de lyophilisé et le reste de fait maison ». Et il n’est pas rare que Tom compose ses plats, dans sa cocotte-minute, à ajouter de la sauce, du thon, du parmesan... Le skipper a fait le plein de fromages et de charcuterie en provenance d’un refuge des Gets en Haute-Savoie (le refuge de Marie-Louise) mais aussi de Suisse grâce aux frères Ravussin qui lui en ont donné juste avant qu’il embarque. Enfin, grande curiosité à bord de SVR-Lazartigue : il a à bord trois boîtes de six œufs pour se faire des omelettes. « Les boîtes sont compartimentées dans des Tupperware, précise Isabelle. Nous avons testé lors du convoyage retour de la Transat Jacques Vabre et ça avait tenu le choc. » Il faudra attendre la fin du tour du monde pour savoir si ce sera à nouveau le cas !
Thomas Coville à l’heure du thé
Chez Sodebo, la nutrition à bord est une belle illustration de la synergie entre le team et l’entreprise. En effet, le laboratoire de recherche et développement de la marque développe des plats lyophilisés pour le skipper. « Ça fait plus de 20 ans que l’on travaille ensemble, confie Caroline Pommeret, en charge de l’administratif et de la logistique pour le team. Ça va de plats comme un ‘jambon-purée’ jusqu’au Dahl de lentilles corail et puis on s’adapte aux goûts et aux envies de Thomas ». Le marin aux huit tours du monde connaît précisément ses besoins et sait s’adapter aux circonstances. À bord, nombre d’aliments ont été achetés à Brest : des baguettes de pain (et cuites deux fois pour être comestible plusieurs semaines), des fruits et des légumes.
Côté péchés mignons, il y a du fromages – Comté, Mimolette, Tomme de Savoie – et de la charcuterie – jambon Serrano, coppa, viande des grisons – pour tenir tout au long du tour du monde. Thomas est aussi amateur de chocolat : Caroline lui a ramené un assortiment du chocolatier Becasso d’Erdeven. Son plaisir ultime à bord ? Une « tasse de thé et une douceur ». Les carrés de chocolat peuvent à l’occasion être remplacés par les pâtes de fruits que sa sœur lui a offertes, l’occasion de faire le plein de bonne humeur avant de continuer sa route.
Armel Le Cléac’h, du bon et « pas de concession »
Armel a évolué avec le temps. Déjà, il a assuré à son équipe qu’il ne « voulait pas faire de concession» en matière d’avitaillement. En somme, qu’il n’y ait pas d’arbitrage de poids en la matière. À la différence d’un Vendée Globe, la nourriture ne doit pas être matossé, ce qui facilite grandement le quotidien. Et puis Armel a appris à se faire plaisir en la matière. « Il avait tendance à prendre un peu la même chose », confie Erwan Steff, responsable logistique chez ‘Banque Pop’. Mais ça c’était avant. Sébastien Josse avec qui il a remporté la Transat Jacques Vabre, l’a poussé à « diversifier ses choix » afin « d’ajouter une notion de plaisir ». Banque Populaire travaille ainsi avec Nomad Food. Au menu : blanquette de veau, brandade de cabillaud, parmentier de canard… « Armel mange beaucoup à bord », sourit Erwan. Parmi les curiosités culinaires qu’il a embarquées, on trouve de la Scamorza, un fromage italien à pâte filée, des chips de pois chiche, de la viande séchée d’Espagne et de la rillette de bar au Yuzu de l’épicerie fine Albert Ménès.
Anthony Marchand, un petit penchant pour le sucré
Chez Actual Ultim 3 aussi, on a l’expérience des courses longues donc la gestion de l’avitaillement est tout sauf un problème. « On alterne avec des plats lyophilisés, appertisés, snack salé et sucré, confie Sandrine Bertho, directrice administrative et logistique. Nous raisonnons surtout pour que les besoins énergétiques soient adaptés aux séquences météos (jour tempéré, froid, chaud) ». Anthony « est assez simple » en la matière. En plus des plats classiques (Actual se fournit également chez Nomad’s Kitchen), on trouve à bord des fromages et du saucisson d’une ferme de Locoal-Mendon, Le P’tit fermier de Kervihan. Par ailleurs, le skipper apprécie le sucré. « Il a du Nutella, des Haribo, assure Sandrine, sourire aux lèvres. Ce n’est pas super intéressant en matière de nutrition mais ça fait partie de l’alimentation plaisir ». Un élément essentiel vue la durée de ce tour du monde pour tenir jusqu’au bout et garder le sourire.
Éric Péron, « la nourriture, mon vrai réconfort »
À l’instar de Charles Caudrelier, Éric Péron travaille avec Éric Guerin pour une partie de ses plats. Une collaboration qui remonte à la dernière édition de la Route de Rhum, même si le skipper d’ULTIM ADAGIO a souhaité plusieurs sources d’approvisionnement. Car pour lui, impossible de faire des concessions sur le côté alimentaire. « On sait qu’on va beaucoup donner, qu’on va parfois souffrir physiquement et mentalement donc pour moi, le vrai réconfort, c’est la nourriture», a-t-il confié avant le départ. Il assure donc « s’être fait plaisir » en « prenant des aliments qu’il aime ». « Ça m’a poussé à me questionner en me demandant ‘mais en fait qu’est-ce que tu apprécies manger ?’ » Sa liste d’avitaillement, c’est un mélange savoureux entre « ce que j’aimais enfant », «ce que j’aime maintenant » et « plein de petites choses ». Et parmi ce qu’il apprécie le plus, « les pâtes à l’huile d’olive », l’idéal pour reprendre des forces avant de retourner à la barre.