LA DOUZIÈME NUIT. Charles Caudrelier est en passe de franchir le cap de Bonne-Espérance. Tandis que Tom Laperche progresse à petits pas vers la ville du Cap et que Thomas Coville glisse vers le sud, les trois autres ont vécu l’alternance.
Quand Charles Caudrelier ouvrira son livre du bord pour faire le point, ce vendredi matin, ce sera pour apposer une coche au bout de la ligne « Passer le cap de Bonne-Espérance ». 80 milles plus loin, il franchira le cap des Aiguilles, la pointe méridionale du continent africain, et entrera alors dans l’océan Indien.
Navigateur et explorateur portugais au service du roi du Portugal Jean II, Bartolomeu Dias est le premier à le franchir par la mer, en 1488. Il nommera ce promontoire rocheux « cap des tempêtes », ce qui sent le vécu. Son roi lui préférera « cap de Bonne-Espérance », ce qui respire la poésie. À l’heure de la publication de ces lignes, le Maxi Edmond de Rothschild n’était plus qu’à 200 milles de la longitude du cap de Bonne-Espérance, qu’il franchira vraisemblablement en fin de matinée, à une latitude très basse (43°S) qui lui permet de s’éloigner de la zone de navigation du bord du continent, réputée hasardeuse, et de profiter à la fois des systèmes météo qui circulent d’ouest en est dans ces latitudes et d’une moindre distance à parcourir. La rotondité de la Terre fait que, plus on se rapproche des pôles, moins la route qui en fait le tour est longue. Comme toutes les courses au large qui proposent une circumnavigation, l’ARKEA ULTIM CHALLENGE – Brest a imposé une zone d’exclusion antarctique dans laquelle les skippers n’ont pas le droit de naviguer, ceci afin de leur éviter d’aller faire traîner les étraves au milieu des icebergs et des growlers, ces glaçons vicieux qui émergent à peine et i sont invisibles sur les photos satellite et les radars.
À 7 heures ce matin, Charles Caudrelier naviguait donc à 70 milles de la zone interdite, à 530 milles du continent africain, à plus de 34 nœuds, et en leader affirmé. Au cours de la nuit, le skipper du Maxi Edmond de Rothschild a creusé son avance sur Thomas Coville qui a beaucoup manœuvré cette nuit pour descendre vers le sud tout en cherchant à rester au contact de la dépression qui, glissant d’ouest en est, pousse le leader vers l’océan Indien et l’accompagnera vraisemblablement sur 2000 milles, jusqu’aux îles Kerguelen.
Petites complexités
Il paraît assez peu probable que Sodebo Ultim 3, à 874 milles de Charles Caudrelier ce matin, parvienne à rester dans ce train météo qui progresse rapidement dans son sud en générant des vents de plus de 25 nœuds, mais il pourrait ne pas être trop ralenti. À l’arrivée au cap de Bonne-Espérance demain, il verra sur la cartographie se joindre le vent de la fameuse dépression qui s’enroule par le nord-ouest et le vent qui vient de l’Indien, bute sur le continent et s’enroule pour souffler du nord-est. Le piège auquel il devra tenter d’échapper est celui tendu par les courants qui s’entremêlent au large du cap de Bonne-Espérance, créant des gyres qui rendent complexe la navigation et créent un écosystème favorable au développement de la faune marine.
Cette nuit, Anthony Marchand et Armel Le Cléac’h ont tout connu : des coups de frein et de belles vitesses. Les étraves pointées vers le sud, ils tentent de contourner la zone anticyclonique qui leur barre la route directe. Cette trajectoire leur fait concéder du terrain (ils sont à plus de 2000 milles du leader), mais elle leur permettra de se glisser à l’avant d’une nouvelle dépression du grand sud. Eux aussi, alors, verront pendant un long moment le soleil se lever à l’avant de leur bateau. Un des petits plaisirs des mers du sud.