On a patienté, on a fini par le voir. Trônant fièrement au cœur de la casserole d’Éric Péron, qui a donné hier un cours de cuisine à bord de Adagio, l’os du jarret est apparu. On s’est penché, on a imaginé le fumet de cochon et de lentilles. Il y avait tout l’appétit du monde dans les yeux d’Éric Péron tandis que son trimaran Ultim filait à belle allure dans un vent de sud, dans un ciel presque bleu. C’est agréable d’être invité à bord quand les conditions donnent envie. Méfions-nous des cartes postales !
Ce dimanche matin, Éric Péron cherche la meilleure façon de profiter d’une dépression qui vient de son nord et qui, se déplaçant vers le sud-est, pourrait lui permettre de maintenir un tempo efficace dans sa traversée de l’océan Indien. Pénalisé par le schéma météo depuis son départ de Cape Town, il n’est pour l’heure pas parvenu à quitter cette trajectoire très au nord, qui pénalise sa progression. Mais ce ne sera pas de tout repos : c'est un flux de nord-ouest de plus de 30 noeuds et une mer désordonnée qui se présenteront à lui.
Anthony Marchand, lui aussi, a connu des contrariétés lorsqu’il est reparti de Cape Town. Pas de vent, pas de vitesse. La punition a bien duré deux jours, à moins de 10 nœuds.
Le voici face à un bel os à ronger. Jouant à la lisière de deux vents, qui lui font multiplier les manœuvres, le skipper de Actual Ultim 3 avance bien, tout en bas, en bordure de la zone des glaces. Le schéma s’annonce stable et trépidant ; il fait de lui le marin qui gagne le plus de distance au but en ce moment. Le vent basculera au nord-ouest mercredi et l'emmènera jusqu'au milieu du Pacifique.
Il faut avoir de la moelle pour, comme l’a fait Thomas Coville, quitter le lit douillet d’un hôtel de Tasmanie à quatre heures du matin, pour remonter à bord de son Ultim, rallier avec l’équipe le point où a été déclenché l’escale technique deux jours plus tôt… et repartir en course, en solo, dans le fracas d’une dépression qui fait hurler les voiles et grincer les osselets du marin. Depuis son retour en mer vendredi soir, heure métropolitaine, le confort n'est pas au rendez-vous, et il n’est pas près de le retrouver. Ce matin, Sodebo Ultim 3 navigue au sud de la Nouvelle-Zélande à près de trente nœuds dans des vents de 35 nœuds, avec des rafales à 45 et une mer de 6 mètres. L’état de la mer va encore se dégrader dans les heures à venir. Courage !
À Armel Le Cléac’h qui, hier, montrait sur une vidéo sa rencontre avec un bateau de passagers de la compagnie du Ponant, dévoilait aussi quelques stigmates d’une rencontre impromptue entre son nez et un objet peu amène. On ne peut s’empêcher de lui rappeler ce qu’un ancien capitaine de l’équipe de France de rugby, médecin de métier, avait dit en voyant un partenaire salement amoché au même endroit : « Tu as du bol. Ce coup, si tu n’avais pas eu ton nez, tu l’aurais pris en pleine gueule ! » Longeant hier la côte nord de l’île du nord de la Nouvelle-Zélande, le Maxi Banque Populaire achève ce jour la grande ellipse qui lui a permis de fuir la titanesque dépression qui passait là. Ce dimanche matin, Armel Le Cléac’h est en passe d’en terminer avec les complexités locales et de trouver un flux constant qui le ramènera plein sud et le déposera sur la route directe vers le cap Horn.
Cap Horn où il ne fait pas bon naviguer, mais alors, pas du tout ! Au ralenti depuis deux jours, Charles Caudrelier a repris un petit peu de vitesse ces dernières heures, mais il se laisse porter par une dépression raisonnable vers le cap Horn. Histoire de se rapprocher du cœur du réacteur et de se mettre en position de profiter d’une éventuelle – quoique très relative – accalmie ? Un opportunité serait en train de se dessiner dans la journée du mardi 6. Pour l’heure, c’est la furia qui s’annonce toujours autour du cap de la Délivrance, avec des vents très forts avant, et un vent raide, de face, à l’entrée de l’Atlantique. Ça ne donne pas envie. Autant prendre le temps de ronger son... frein.