ARKEA ULTIM CHALLENGE - 33è nuit : Un cap-hornier, un pacifique, un libéré et un cabossé

Par Figaronautisme.com

Ce dimanche matin, à 6h01’50 heure française, Armel Le Cléac’h a franchi le cap Horn, dans des conditions très maniables. Éric Péron était sur le point d’entrer dans le Pacifique ce matin. Anthony Marchand est reparti. Thomas Coville s’est fait une belle frousse vendredi ; il la raconte.

Bye bye, le Pacifique, et merci pour ce moment ! Armel Le Cléac’h a paré le cap Horn ce dimanche matin, dans des conditions enviables, dans la nuit sud-américaine. Passé à une quinzaine de milles au large de la mythique porte rocheuse, le skipper du Maxi Banque Populaire XI n’en aura pas vu les contours, mais il n’en a sans doute pas oublié les charmes, lui qui l’avait vu de près et de jour lors de son premier Vendée Globe en 2008-2009 à bord de BritAir.

Armel Le Cléac’h a progressé au près dans une quinzaine de nœuds de vent de nord. Il n’en a peut-être pas tout à fait terminé avec les mers du sud. Deux options s’ouvrent à lui pour aborder la remontée de l’Atlantique sud : passer au plus près de la côte et naviguer au portant dans un vent de 45 nœuds de sud-ouest, ou pousser vers l’est pour avancer au près dans un vent de 15 nœuds et longer la zone des glaces. L’option est ouverte : membre de la direction de course, Fred Le Peutrec a survolé la zone hier encore pour vérifier les déplacements de ces glaces repérées au nord de la ZEA, et tout semble clair.

À 160 milles ce matin à 7h00 du cap du sud-est, le point de jonction des océans Indien et Pacifique, Éric Péron va découvrir un nouveau monde, dans des conditions propices à la vitesse. 1200 milles devant lui, Anthony Marchand a quitté l’escale protectrice de Dunedin, toutes réparations effectuées, ce matin à 6h12 après un peu plus de 28 heures d’escale technique. Repartant au portant dans un vent medium, le skipper de Actual Ultim 3 va sans doute chercher une trajectoire qui lui permettra de profiter d’un petit système dépressionnaire qui progresse dans son dos. Paul Meilhat et l’équipe de Biotherm qui a couru The Ocean Race, et dont Anthony Marchand a fait partie, a adressé à leur ancien compagnon de route un joli message, hier.

Tout devant, Charles Caudrelier tire des bords, remontant au plus près de la côte brésilienne. Au près, dans 16 nœuds de vent de nord, il avance à plus de 20 nœuds, cherchant en permanence le bon compromis entre l’efficacité de la trajectoire et sa capacité d’ingestion des efforts à répétition… le tout en gardant un œil sur son environnement direct. Le skipper de Edmond de Rothschild est actuellement à 360 milles de Rio de Janeiro où, depuis hier – information confirmée par la direction de course -, le carnaval bat son plein. On doute qu’il s’y arrête.

Coville : l’épaule et la prise de conscience

Il fera nuit en Métropole quand Thomas Coville effacera le cap Horn, ce soir. Le skipper de Sodebo ne doit pas traîner. Dans son dos, une énorme dépression le pourchasse. Devant lui, un front à peine moins inamical lui ouvre la route. Calé (coincé ?) entre ces deux systèmes « velus », Thomas Coville doit viser juste pour s’épargner le plus gros de la mer et des vents. « On est entre les deux et on essaie de faire notre chemin, dit-il. Ce n’est pas facile, les prévisions ne sont jamais exactement le réel ».

Hier, il a aussi raconté les mésaventures vécues vendredi. Deux chutes à bord, les premières de sa carrière. L’une d’elles l’a amoché. L’épaule meurtrie, il s’est aussi retrouvé face à une prise de conscience, qu’il raconte à sa belle façon.

« Il m’est arrivé un truc que je redoutais, mais qui ne s’est pas révélé très grave. J’ai frôlé l’avarie, l’accident, dans un enfournement. Le bateau est parti dans un surf, avec la houle très puissante qui vient de l’arrière, il s’est arrêté dans une vague. J’étais à la table à cartes, qui a pivoté dans le mouvement, et elle m’a laissé partir tout droit. Je n’ai pas su me retenir. C’est une erreur pour un marin, de tomber. J’ai fait une chute de 2,5m pour aller m’encastrer dans la verrière. Je me suis mis en protection sur le côté, et l’épaule droite est venue taper. Ce fut extrêmement violent, j’ai eu une sacrée douleur. Je ne pense pas avoir perdu connaissance, mais en quelques dixièmes de seconde, vous avez peur.

Peur que cet incident vous rende invalide d’un bras. Il se passerait quoi, alors, juste parce que vous n’avez pas eu ou su avoir la bonne position au bon moment, sur un mouvement du bateau, dont vous devez être tout le temps à l’écoute ? Tout va bien ; j’ai eu une assistance médicale incroyable. Laure et Marine étaient là, elles m’ont rassuré et guidé et, en 24 heures, les choses sont revenues en place.

Mais il reste cette notion d’être seul et sur un fil qui font comprendre que c’est très proche. Comme quand, dans l’Indien, j’allais sur le flotteur pour hooker manuellement mon foil pour pouvoir m’en servir et que, le long du flotteur, c’est la mer sombre qui se propose en abysse. Ces moments-là rappellent que cette compétition est un challenge et qu’il ne faut pas dépasser ce fil. On m’a souvent demandé si j’ai peur. Hier (vendredi), oui, j’ai eu peur de ne plus être capable de faire une manœuvre, de rouler le gennaker… Ça peut basculer vite et, soudainement, devenir critique ou dangereux. On le sait. C’est comme l’avarie, on peut toucher et ça peut arriver d’un instant à l’autre. On vit avec ça, mais quand ça se rapproche ou quand vous le voyez arriver, la conscience de ça devient très forte. Elle ne peut pas vous tétaniser, j’ai passé la journée à manœuvrer, mais ça alerte sur le fait qu’il ne faut pas se laisser prendre au jeu.

Avec le recul de 24 heures, ça m’a fait beaucoup de bien. Ça m’a fait relativiser, me rendre compte que j’ai un corps qui encaisse ‘incroyable’ (il rit). Ça été un sacré tampon, hein. Ça, c’est pour Arthur (Coville, son petit-cousin, demi de mêlée formé à Vannes, passé par le Stade Français et qui joue pour Provence Rugby). J’ai fait le geste interdit, hein, j’ai mis l’épaule en avant. J’aurais sans doute pris un carton rouge.

J’ai un regard un peu différent sur la course, et j’ai un autre regard sur ce marin incroyable qu’est Yann Eliès, qui s’était cassé la jambe lors d’un Vendée Globe et qui est revenu différent (en 2008, tandis qu’il bricole dans l’étrave, il est éjecté par un mouvement du bateau et se brise un fémur, ndlr) . Son regard a changé, il est une pépite de vie. Moi, j’en suis très loin, hein, j’ai juste eu une prise de conscience que je ne m’étais jamais blessé, mais ça génère chez ces gens qui ont connu la douleur en étant isolé, comme Jean Troillet, alpiniste de l’Everest qui est aussi mon mentor… Ces gens-là reviennent avec un regard différent sur la vie, les autres. Ils sont à un autre niveau de prise de conscience de la vie et de l’urgence à la croquer. Yann, chapeau bas, j’ai pensé à toi toute l’après-midi. Ça m’a fait un bien fou. Ce moment aura sans doute une importance non négligeable dans mon tour du monde ».

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…
Cyrille Duchesne
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...