Ce dimanche matin, à 6h01’50 heure française, Armel Le Cléac’h a franchi le cap Horn, dans des conditions très maniables. Éric Péron était sur le point d’entrer dans le Pacifique ce matin. Anthony Marchand est reparti. Thomas Coville s’est fait une belle frousse vendredi ; il la raconte.
Bye bye, le Pacifique, et merci pour ce moment ! Armel Le Cléac’h a paré le cap Horn ce dimanche matin, dans des conditions enviables, dans la nuit sud-américaine. Passé à une quinzaine de milles au large de la mythique porte rocheuse, le skipper du Maxi Banque Populaire XI n’en aura pas vu les contours, mais il n’en a sans doute pas oublié les charmes, lui qui l’avait vu de près et de jour lors de son premier Vendée Globe en 2008-2009 à bord de BritAir.
Armel Le Cléac’h a progressé au près dans une quinzaine de nœuds de vent de nord. Il n’en a peut-être pas tout à fait terminé avec les mers du sud. Deux options s’ouvrent à lui pour aborder la remontée de l’Atlantique sud : passer au plus près de la côte et naviguer au portant dans un vent de 45 nœuds de sud-ouest, ou pousser vers l’est pour avancer au près dans un vent de 15 nœuds et longer la zone des glaces. L’option est ouverte : membre de la direction de course, Fred Le Peutrec a survolé la zone hier encore pour vérifier les déplacements de ces glaces repérées au nord de la ZEA, et tout semble clair.
À 160 milles ce matin à 7h00 du cap du sud-est, le point de jonction des océans Indien et Pacifique, Éric Péron va découvrir un nouveau monde, dans des conditions propices à la vitesse. 1200 milles devant lui, Anthony Marchand a quitté l’escale protectrice de Dunedin, toutes réparations effectuées, ce matin à 6h12 après un peu plus de 28 heures d’escale technique. Repartant au portant dans un vent medium, le skipper de Actual Ultim 3 va sans doute chercher une trajectoire qui lui permettra de profiter d’un petit système dépressionnaire qui progresse dans son dos. Paul Meilhat et l’équipe de Biotherm qui a couru The Ocean Race, et dont Anthony Marchand a fait partie, a adressé à leur ancien compagnon de route un joli message, hier.
Tout devant, Charles Caudrelier tire des bords, remontant au plus près de la côte brésilienne. Au près, dans 16 nœuds de vent de nord, il avance à plus de 20 nœuds, cherchant en permanence le bon compromis entre l’efficacité de la trajectoire et sa capacité d’ingestion des efforts à répétition… le tout en gardant un œil sur son environnement direct. Le skipper de Edmond de Rothschild est actuellement à 360 milles de Rio de Janeiro où, depuis hier – information confirmée par la direction de course -, le carnaval bat son plein. On doute qu’il s’y arrête.
Coville : l’épaule et la prise de conscience
Il fera nuit en Métropole quand Thomas Coville effacera le cap Horn, ce soir. Le skipper de Sodebo ne doit pas traîner. Dans son dos, une énorme dépression le pourchasse. Devant lui, un front à peine moins inamical lui ouvre la route. Calé (coincé ?) entre ces deux systèmes « velus », Thomas Coville doit viser juste pour s’épargner le plus gros de la mer et des vents. « On est entre les deux et on essaie de faire notre chemin, dit-il. Ce n’est pas facile, les prévisions ne sont jamais exactement le réel ».
Hier, il a aussi raconté les mésaventures vécues vendredi. Deux chutes à bord, les premières de sa carrière. L’une d’elles l’a amoché. L’épaule meurtrie, il s’est aussi retrouvé face à une prise de conscience, qu’il raconte à sa belle façon.
« Il m’est arrivé un truc que je redoutais, mais qui ne s’est pas révélé très grave. J’ai frôlé l’avarie, l’accident, dans un enfournement. Le bateau est parti dans un surf, avec la houle très puissante qui vient de l’arrière, il s’est arrêté dans une vague. J’étais à la table à cartes, qui a pivoté dans le mouvement, et elle m’a laissé partir tout droit. Je n’ai pas su me retenir. C’est une erreur pour un marin, de tomber. J’ai fait une chute de 2,5m pour aller m’encastrer dans la verrière. Je me suis mis en protection sur le côté, et l’épaule droite est venue taper. Ce fut extrêmement violent, j’ai eu une sacrée douleur. Je ne pense pas avoir perdu connaissance, mais en quelques dixièmes de seconde, vous avez peur.
Peur que cet incident vous rende invalide d’un bras. Il se passerait quoi, alors, juste parce que vous n’avez pas eu ou su avoir la bonne position au bon moment, sur un mouvement du bateau, dont vous devez être tout le temps à l’écoute ? Tout va bien ; j’ai eu une assistance médicale incroyable. Laure et Marine étaient là, elles m’ont rassuré et guidé et, en 24 heures, les choses sont revenues en place.
Mais il reste cette notion d’être seul et sur un fil qui font comprendre que c’est très proche. Comme quand, dans l’Indien, j’allais sur le flotteur pour hooker manuellement mon foil pour pouvoir m’en servir et que, le long du flotteur, c’est la mer sombre qui se propose en abysse. Ces moments-là rappellent que cette compétition est un challenge et qu’il ne faut pas dépasser ce fil. On m’a souvent demandé si j’ai peur. Hier (vendredi), oui, j’ai eu peur de ne plus être capable de faire une manœuvre, de rouler le gennaker… Ça peut basculer vite et, soudainement, devenir critique ou dangereux. On le sait. C’est comme l’avarie, on peut toucher et ça peut arriver d’un instant à l’autre. On vit avec ça, mais quand ça se rapproche ou quand vous le voyez arriver, la conscience de ça devient très forte. Elle ne peut pas vous tétaniser, j’ai passé la journée à manœuvrer, mais ça alerte sur le fait qu’il ne faut pas se laisser prendre au jeu.
Avec le recul de 24 heures, ça m’a fait beaucoup de bien. Ça m’a fait relativiser, me rendre compte que j’ai un corps qui encaisse ‘incroyable’ (il rit). Ça été un sacré tampon, hein. Ça, c’est pour Arthur (Coville, son petit-cousin, demi de mêlée formé à Vannes, passé par le Stade Français et qui joue pour Provence Rugby). J’ai fait le geste interdit, hein, j’ai mis l’épaule en avant. J’aurais sans doute pris un carton rouge.
J’ai un regard un peu différent sur la course, et j’ai un autre regard sur ce marin incroyable qu’est Yann Eliès, qui s’était cassé la jambe lors d’un Vendée Globe et qui est revenu différent (en 2008, tandis qu’il bricole dans l’étrave, il est éjecté par un mouvement du bateau et se brise un fémur, ndlr) . Son regard a changé, il est une pépite de vie. Moi, j’en suis très loin, hein, j’ai juste eu une prise de conscience que je ne m’étais jamais blessé, mais ça génère chez ces gens qui ont connu la douleur en étant isolé, comme Jean Troillet, alpiniste de l’Everest qui est aussi mon mentor… Ces gens-là reviennent avec un regard différent sur la vie, les autres. Ils sont à un autre niveau de prise de conscience de la vie et de l’urgence à la croquer. Yann, chapeau bas, j’ai pensé à toi toute l’après-midi. Ça m’a fait un bien fou. Ce moment aura sans doute une importance non négligeable dans mon tour du monde ».