« Il n’y a pas d’équivalent sur ce que j’ai pu croiser lors de mon précédent Vendée Globe. L’Atlantique Nord est vraiment particulier. Nous naviguons contre les systèmes qui évoluent sans cesse et, de plus, nous allons vers eux. Les conditions changent très vite, la mer est difficile, il y a le brouillard, le froid, bref c’est un univers bien à part. »
Ces quelques mots définissent bien le décor dans lequel Isabelle Joschke, skipper de l’IMOCA MACSF a évolué durant 9 jours, 23 heures 19 minutes et 49 secondes, son temps de course pour rallier Lorient, ville de départ de The Transat CIC à la ligne d’arrivée, située à 130 milles de la ville de New York. En terminant à la très belle douzième place de cette transatlantique exigeante, Isabelle repart forte d’une expérience unique, cruciale pour l’avenir, riche en enseignements mais surtout avec son ticket pour le Vendée Globe. Une première victoire tant les places pour cette course sont difficiles à obtenir.
Il aura fallu un tout petit peu moins de 10 jours à Isabelle Joschke pour venir à bout de cet océan Atlantique par une face nord peu évidente. Une très belle performance pour ce duo skipper/bateau avec quelques enseignements sportifs, physiques et psychologiques qui ont pu être ciblés. « J'ai réussi à faire une belle course tout en naviguant proprement. Je ne me sentais pas vraiment prête pour une transat difficile. Je suis contente de moi, je termine à une place logique. Cette Transat CIC a également été un très bon entraînement pour le Vendée Globe » confiait Isabelle juste après son passage de ligne ce mercredi 8 mai 2024 à 12h 49 minutes 49 secondes (heure française).
Une arrivée peu commune, au milieu de nulle part, sans bateau comité, sans spectateur et embarcation, en toute discrétion, que seuls les instruments du bord et le comité de course peuvent valider.
Épuisée par cet engagement que demande une traversée de l’Atlantique, Isabelle a le sentiment d’avoir accompli une belle transat. « Je ne partais pas dans l’idée de faire un résultat. Mon intention était clairement de valider des choses et d’en profiter pour continuer à m’entraîner. M’embarquer dans un objectif sportif n’était pas la priorité ».
Une montée en puissance
Traverser l’Atlantique n’est jamais anodin. Le faire en solitaire, en course, contre vents et courants, l’est encore moins. Cet exercice, effectué sur un IMOCA MACSF à l’exigence millimétrée, rend les choses encore plus difficiles.
« Je n’étais pas assez préparée en prenant le départ de Lorient. Je manquais amèrement de musculature. Au fil des jours et des manœuvres, je me suis sentie de mieux en mieux. Je gagnais en force et en résistance, et surtout en capacité à enchaîner les manœuvres. Le point d’orgue est survenu au milieu de l’Atlantique lorsque j’ai contourné une dépression par le nord et au portant : j’ai dû manœuvrer sans cesse. J’ai plusieurs fois roulé le gennaker et déroulé le J2, dû lâcher deux ris d’un coup, puis les reprendre. Tout ça est hyper fatiguant mais je me sentais bien. Je me suis mise dedans à ce moment-là.
Suite à ces enchaînements de manœuvres, il y a forcément un moment où tu le paies. J’ai eu des gros coups de fatigue. En prenant un peu de recul et en étant consciente de mon état, je me suis forcée à aller me reposer, c’était la priorité » analyse Isabelle.
Chi va piano va sano
Si Ia navigatrice n’a pas connu de gros problèmes techniques, sa grand-voile lui a tout de même donné du fil à retordre.
« Ma grand-voile a commencé à se déchirer au passage du premier front, lorsque j’ai dû prendre mon premier ris. Elle s’est déchirée à plusieurs endroits, mais c’était des mini-déchirures. Je savais que si je la faisais faseiller, elle allait se déchirer en grand ; mais si je manœuvrais délicatement, ça pouvait le faire. Cela m’a donné un certain ton pour la course, parce qu'à partir de là, j'ai vraiment décidé de prendre soin de ma grand-voile pour pouvoir l'utiliser jusqu'au bout. Il fallait accepter de temps en temps d’être moins rapide en anticipant, par exemple, une prise de ris, afin de ne pas se retrouver dans l’urgence et endommager la voile » analysait Isabelle.
Une situation peu évidente dès le départ, qui conditionne sa façon de naviguer. « Il y avait plusieurs raisons qui me poussaient à ne pas lâcher les chevaux, à y aller tranquillement. J'ai vraiment eu l'impression de faire une belle course, mais une course tranquille.
C’est une expérience importante à faire pour moi, parce que je veux partir avec ce souvenir-là sur le prochain tour du monde. Le Vendée Globe est une course durant laquelle il ne faut pas se mettre dans le rouge tout de suite. Il y aura plein de moments où je serai moins en forme, moins affûtée, et il faudra quand même que j’aille manœuvrer et rester dans la course. Cette transat m’a appris à naviguer quand je ne suis pas à 100% ».
Si un marin accepte tant bien que mal l’adversité et les déceptions, le tout dans un univers hostile 90% du temps, la préparation mentale d’Isabelle est un formidable moyen pour analyser chaque instant de vie, tirer profit d’une situation, tout en continuant d’avancer. De plus, les multiples faits de course apportent à Isabelle une expérience sans commune mesure. Rebondir, anticiper, savoir ralentir, préserver pour performer à sa manière, telles sont les clés d’une navigation qu’Isabelle aime mener.
La vie à bord
Certes, les manœuvres et la navigation sont une part quasi prépondérante dans une course à la voile, mais la vie à bord l’est aussi. Pour Isabelle, l’avitaillement, sa préparation et une certaine forme de confort sont les éléments de la réussite d’une compétition.
Très impliquée dans la conception de ses plats, déshydratés ou appertisés, Isabelle avoue avoir manqué de diversité. « Je crois que j'ai fait un avitaillement important en termes de quantité mais un peu léger en termes de choix. Ce qui m'a manqué par exemple, c'est du riz au lait ! »
Si à terre cette réflexion peu prêter à sourire, en mer, loin de tout, la nourriture peut s’avérer un bon vecteur pour le moral. Il est fort à parier que, dans la liste des recommandations pour le Vendée Globe, le choix des plats sera l’un des points importants à cocher.
Côté résistance au froid (dont Isabelle avait beaucoup souffert lors du Vendée Globe 2020), plusieurs modifications effectuées cet hiver ont été testées lors de The Transat CIC, pour le confort du cockpit, l’isolation du vent et de l’humidité. « Concernant le confort, c'était super chouette. J’ai pu valider pas mal de choses qu'on a mises en place, notamment les travaux effectués par mon équipe pour protéger l’espace de manœuvre des embruns et de l’humidité, ou encore une nouvelle couverture qui m'a bien tenu chaud. J'ai rencontré des conditions météo très différentes des autres transats, elles m’ont permis de repérer pleins de choses au niveau de la gestion du froid. J’ai aussi pu identifier certains éléments sur lesquels il faudra travailler afin d’être encore mieux préparée pour le Vendée Globe. »
C’est parfois dans l’adversité que certains enseignements ressortent, et Isabelle l’a bien compris. La course au large n’est pas une routine, chaque instant est un apprentissage. Un apprentissage sur le matériel, sur la conduite à tenir et surtout sur soi-même. Cette traversée, rapide au demeurant, a été un formidable tremplin pour accumuler encore plus de savoir sur son engagement et sa capacité à rebondir face aux événements, minimes ou d’ampleurs.
En prévision du Vendée Globe, cette Transat CIC aura été un très bon exercice, grandeur nature, pour faire face à soi, dans de multiples configurations.
Cap sur le Vendée Globe
Last but not least : en bouclant cette Transat, Isabelle valide sa participation au Vendée Globe 2024. Si tous les voyants sont au vert pour la navigatrice, il faudra tout de même attendre tout début juillet pour connaitre la liste définitive des 40 inscrits. Isabelle Joschke rejoint donc Samantha Davies (Initiatives Cœur) et Justine Mettraux (Teamwork – Team Snef) dans la liste des 6 femmes inscrites pour le Tour du monde de l’extrême. Place désormais à un convoyage retour vers Lorient pour l’IMOCA MACSF. Prochaine échéance : début septembre avec la participation au Défi Azimut !