
Ali Alyanak et ses voisins attendent la pluie avec impatience: ces villageois de la province touristique turque d'Izmir (ouest) sont contraints cette année de puiser leur eau 170 mètres sous terre. Non loin sur la côte, les piscines des centaines d'hôtels sont remplies à ras bord. Cette région du littoral égéen subit une grave sécheresse qui a poussé la municipalité de Çesme, station balnéaire courue dont la population explose en été, à priver ses habitants d'eau potable dix heures par jour.
Izmir, troisième ville du pays, en fera de même six heures par jour à partir de mercredi. "Nos parents puisaient à 8-9 mètres de profondeur, désormais il faut aller à 170 mètres", affirme à l'AFP Ali Alyanak, 39 ans, père de deux enfants et "muhtar" (maire) du village de Germiyan où les habitants tirent tous leur eau des nappes phréatiques.
Les images du grand barrage voisin qui alimente Çesme ont fait le tour des télévisions turques: son niveau est tombé à 3%, faisant place à un paysage de désolation. "Les hôtels sont le principal problème: l'eau des piscines s'évapore, les serviettes sont lavées tous les jours et les gens prennent trois à cinq douches par jour, dès qu'ils se baignent ou reviennent de l'extérieur. C'est du gaspillage", peste Ali Alyanak, qui recueille lui chaque goutte de pluie.
Prières pour la pluie
Le déficit de précipitations depuis l'automne est le grand responsable de la crise actuelle. La semaine passée, des prières pour faire venir la pluie ont résonné dans les haut-parleurs des 90.000 mosquées du pays. Mais les experts soulignent aussi l'impact du tourisme, qui met sous pression les ressources en eau d'Izmir et de Bodrum, Marmaris et Antalya, stations balnéaires du sud-ouest prisées des touristes étrangers. Le problème se pose dans d'autres pays du pourtour méditerranéen, qui concentrent 30% du tourisme mondial et connaîtront selon les climatologues une chute des précipitations au cours des prochaines décennies.
Des scientifiques ont ainsi calculé que 88% du territoire turc était à risque de désertification.
"Les pertes en eau doivent être réduites autant que possible, en particulier dans le secteur du tourisme", exhorte Selma Akdogan, de la Chambre des ingénieurs en environnement d'Izmir, qui affirme qu'un touriste consomme en moyenne "deux à trois fois" plus d'eau qu'un habitant. "Les niveaux d'eau diminuent en été mais aussi en hiver", pointe l'experte qui note que "les précipitations sont moins régulières mais plus intenses, rendant plus difficile l'absorption des pluies par les sols".
Face aux sécheresses répétées, l'ingénieure appelle collectivités et particuliers à abandonner les pelouses au profit de sols moins gourmands en eau et suggère que les hôtels remplissent leurs piscines d'eau de mer. D'autres experts réclament une tarification différenciée de l'eau afin de contraindre les hôtels à la sobriété.
"Eau 24h/24"
À la tête d'un établissement de luxe de 253 chambres avec vue imprenable sur les eaux turquoise de la mer Égée, Orhan Belge s'agace du battage médiatique autour du sujet. "Les grands hôtels 4 ou 5 étoiles comme le nôtre avons des réservoirs d'eau de 200 à 250 tonnes. Nous avons de l'eau 24h/24", se félicite l'homme, également président de l'Union des hôteliers de la ville.
Pour lui, la solution aux pénuries d'eau passe notamment par le dessalement de l'eau de mer, un processus coûteux et énergivore déjà utilisé par certains hôtels de la région. Le responsable d'un petit hôtel de la ville, qui préfère taire son nom, concède que "le manque d'eau est un vrai problème" mais s'inquiète surtout de l'effet des restrictions d'eau sur la fréquentation touristique. "L'été dernier aux mêmes dates nous étions complets. Et nous l'étions encore il y a deux semaines. Là, l'hôtel est à 80% vide et nous n'avons pas de réservations pour août", peste-t-il. Sabiha Yurtsever, qui passe tous ses étés à Çesme depuis 25 ans, n'a pas souvenir d'un été aussi sec. La retraitée de 80 ans, qui vit le reste de l'année à Izmir, accuse gouvernement et hôteliers de rendre la région invivable. "Quand les forêts brûlent, ils construisent des hôtels au lieu de replanter", affirme l'octogénaire. Or, poursuit-elle, "moins vous avez d'arbres, moins vous aurez de pluie".