
La plaisance nautique a connu un très fort développement à partir des années 80. Aux pionniers des débuts se sont ajoutés des adeptes de tous niveaux. Le ministère de la Mer recense quatre millions de plaisanciers réguliers et onze millions de pratiquants occasionnels en France. Cette démocratisation massive s’est logiquement accompagnée de changements de mentalité. « Avant, nous avions plus affaire à des passionnés qui bichonnaient leur navire, observe Kevin Hénaf, consultant à La Rochelle, fondateur de l’application Eloyot. « Les gens devenaient propriétaires en connaissance des exigences que nécessite l’entretien d’un bateau. Aujourd’hui, un grand nombre d’acheteurs ont un comportement de consommateurs, ils se lancent parce que l’objet est chouette. Cela entraine de grosses incompréhensions sur les nécessités d’entretien des bateaux. »
L’accession à la propriété du plus grand nombre est facilitée par l’augmentation du marché de l’occasion. Une tendance que la Fédération des Industries Nautiques a notablement observé après la période Covid. De plus, selon une étude publiée en 2021 sur « La déconstruction et la bioconception des bateaux de plaisance ».
« 80 % des navires en circulation ont été construits avant 2000 ». Des bateaux qui n’ont pas tous bénéficié des mêmes conditions d’entretien tout au long de leur vie. Il est vrai que les réparations peuvent paraitre trop coûteuses pour une activité que l’on n’exerce que quelques heures par an et pour laquelle il faut déjà compter des frais supplémentaires comme la place de port et l’assurance. Le plaisancier a tendance à attendre le dernier moment ou de rencontrer un problème avant d’agir. Par ailleurs, les navigateurs occasionnels ne sont pas toujours au fait des besoins et des nécessités en matière de révision et d’usure des pièces. Les problèmes sont souvent minimisés. « On les découvre au moment où ça casse, quand on subit un sinistre ou alors quand on vend son bateau ». Le cumul : bateau ancien + inexpérience + recherche d’économies est le cocktail qui favorise l’usure générale de la flotte.
Injecter l’objectivité de l’expertise
Dans ce contexte, la situation des assureurs n’est pas simple. D’abord parce que la réalité sur l’état des navires est difficile à définir. Les vices cachés, même involontairement, sont potentiellement très nombreux. Pour Kévin Hénaf, l’expertise devrait être replacée au centre du jeu de l’achat-vente des bateaux et systématisée. « Même si on ne peut connaitre l’état exact d’un bateau, car on ne peut le mettre à nu, l’expertise permet d’aller au-delà d’un contrat moral de "bonne foi". C’est un état des lieux à placer au centre de la transaction. » Dans ce milieu très poreux à l’émotionnel, au rêve, il est bon d’injecter un peu d’objectivité matériel au sein des transactions. « Acheter un bateau c’est aussi acheter les ennuis qui vont avec, cela fait partie du jeu, il faut en avoir conscience. » Le bon expert maritime se donne pour mission d’accompagner et d’éduquer l’acheteur. Son rôle est plus complet que dans le domaine de l’automobile avec le passage du contrôle technique obligatoire et complet. En matière de nautisme, ce professionnel averti est tenu d’expliquer les imperfections de son nouveau navire à l’acquéreur et a même l’obligation de lui présenter des préconisations. « Après son intervention, le néo-propriétaire doit savoir qu’il achète à telle somme et qu’il doit prévoir tant pour des réparations à venir... Quand les assureurs demandent une expertise, c’est souvent vécu comme une punition, car cela signifie un coût supplémentaire. Mais il faudrait plutôt l’envisager comme de la bienveillance, ajoute Kévin Hénaf. Pour moi, les assureurs ne communiquent pas assez là-dessus ». Selon le consultant, les compagnies d’assurance devraient s’affirmer en tant que partenaires et annoncer en substance : « Vous allez acheter un bateau, mais en réalité nous allons acheter un bateau ensemble car la majorité de la contrainte économique repose sur moi, l’assureur. Nous mettrons un expert à votre disposition et nous allons faire en sorte que vous soyez suffisamment averti sur l’environnement de la plaisance afin que vous puissiez naviguer sereinement. L'assureur prend le risque économique et non pas la contrainte économique. »
Privilégier la gestion locative ou la conciergerie
L’époque du yachting où seule une élite avait les moyens de naviguer et confiait l’entretien de ses biens à des professionnels de la réparation est révolue. « L’accès du plus grand nombre aux plaisirs nautiques est une très bonne chose, mais la propriété devrait rester l’apanage de quelques privilégiés en mesure de financer la maintenance des bateaux ». La pratique quant à elle peut se développer selon divers systèmes d’usage, mais toujours chapeautés par des professionnels. « Je pense qu’il faut privilégier l’intervention d’un intermédiaire qui se charge de réinvestir l’argent récolté par la location dans l’entretien du bateau », ajoute Kévin Hénaf. Ainsi, le système de conciergerie ou de gestion locative, lui parait un système plus vertueux que la location entre particuliers pour garantir l’état des bateaux en général. Dans ce cas, le propriétaire confie les clés du bateau à un professionnel qui assure le planning, l’entretien et le paiement de la place au port. Ledit propriétaire endosse alors le même statut que les autres locataires, doit réserver ses plages de navigation mais est assuré d’avoir toujours un bateau en bon état.