
Figaro Nautisme : Comment devient-on architecte naval ? Par passion pour la mer et les bateaux ou par amour de l’architecture ?
François Perus : "La bateau a toujours été ma passion. J’ai été « biberonné » au Chasse-Marée [magazine spécialisé sur le patrimoine maritime]. J’adorais y découvrir les plans de forme des bateaux. Si j’en crois ma mère, j’ai toujours dessiné des bateaux... et aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours navigué, en Optimist avec ma sœur ; en location en habitable en Bretagne avec mes parents ou encore en 5 O, en Fun puis en Class 8 avec mes oncle et tante...
Avec Romain, nous avons une formation d’ingénieur et, après nos études, c’est tout naturellement que nous nous sommes tournés vers l’architecture navale, un métier qui nous permettait de réunir nos passions."
Romain Scolari : "Ma passion de la mer me vient de mon père qui m’a embarqué depuis tout petit. Il naviguait sur un plan d’eau intérieur, en Picardie. C’est sur ce lac que j’ai tiré mes premiers bords, sur le First Class 7 de la famille. Par la suite, mon père s’occupait de bateaux à St Jean Cap Ferrat et il avait passé un accord avec le propriétaire d’un X 56 : il s’en occupait gratuitement et, en échange, nous pouvions naviguer avec... Le rêve pour mon père, mais aussi pour moi !
Lorsqu’on est passionné par la mer et les bateaux, il existe une multitude de métiers qui permettent de travailler dans le domaine. Avec François, nous avons une formation d’ingénieur [ENSTA Bretagne], où nous avons reçu une formation très technique, très scientifique mais aussi très complète. Tout le challenge consistait ensuite à faire une bonne synthèse de ces compétences et surtout à réussir à aller au-delà : finalement, c’est exactement cela le métier d’architecte naval ! Nous avons eu la chance. Des professionnels nous ont fait confiance rapidement, ce qui nous a permis de lancer notre agence."
Figaro Nautisme : Comment se passe la création d’un nouveau bateau chez Yacht Design Collective ? -
François Perus : "Nous concevons une grande variété de bateaux dans l’agence : trimaran rapide, catamaran de voyage, bateaux à moteur mais aussi habitat flottant, nous sommes finalement assez éclectiques. Avec l’expérience, on réalise que chaque projet est unique, et que notre méthode de travail doit s’adapter à chaque client. Un chantier reconnu ne va pas avoir le même brief de départ qu’un particulier qui veut se construire le bateau de ses rêves... Le constructeur nous fournira un cahier des charges très précis, tandis qu’un particulier peut nous laisser quasiment carte blanche. C’est à chaque fois une nouvelle aventure totalement différente, qui nous nourrit pour les prochaines créations..."
Romain Scolari : "Nous dessinons des bateaux très différents effectivement : de l’architecture flottante au bateau à moteur très puissant en passant par des unités très vertueuses écologiquement parlant. En général, un client vient vers nous après avoir été séduit par une de nos réalisations. Notre objectif est de répondre le mieux possible à son besoin, à son brief de départ. A chaque fois, nous mettons en place une nouvelle équipe avec les spécialistes les plus à même de répondre à la demande. Nous avons fait le choix d’être un vrai collectif, d’où le nom de l’agence : Yacht Design Collective. Ce n’est pas du marketing mais une réelle volonté de proposer les bonnes compétences pour répondre à un besoin spécifique."

Figaro Nautisme : Quelle est la latitude d’un architecte naval dans la conception d’un bateau de série ? C’est un échange, un partenariat avec le chantier ou vous devez répondre à un cahier des charges très précis qui ne vous laisse que peu de marge ?
François Perus : "Encore une fois, cela dépend totalement du client. Certains sont très à l’écoute de nos propositions, d’autres... beaucoup moins. Mais quand nous croyons vraiment à un projet, c’est à nous de réussir à convaincre avec des explications claires et précises Il ne faut pas chercher à être trop novateur d’un seul coup et risquer changer l’ADN de ce que propose un chantier depuis des années : les évolutions doivent être amenées au fur et à mesure."
Romain Scolari : Quand nous travaillons pour une nouvelle marque, c’est forcément plus facile. Nous avons une plus grande latitude pour proposer des concepts différents. Notre rôle consiste avant tout à faire la synthèse des attentes, parfois contradictoires, des différents services du chantier : le marketing, le commercial, la technique...
Figaro Nautisme : Votre métier consiste à dessiner les bateaux d’aujourd’hui mais aussi à imaginer ceux de demain. A quoi ressembleront nos bateaux dans 10 ou 20 ans ?
François Perus : "Nous constatons une vraie évolution dans la manière de vivre à bord : facilité de manœuvres, confort toujours plus important et surtout une nouvelle approche qui favorise l’usage plus que la propriété. Honnêtement, je n’imagine pas un saut technologique dans les années à venir. J’espère que nous pourrons concevoir des bateaux plus facilement recyclables avec, pourquoi pas, un retour de la construction en bois en laquelle je crois beaucoup.
Les nouveaux gréements sont intéressants pour le gain de rendement qu’ils vont pouvoir offrir aux marins et leur facilité d’utilisation. Mais je reste convaincu qu’aller sur l’eau demande tout de même un véritable apprentissage."
Romain Scolari : "J’aimerais que nous retournions vers des bateaux plus simples, plus vertueux. Je ne suis pas convaincu que la technologie et la course à l’armement soient les réponses les plus adéquates pour avoir plus de plaisir en mer. Un bateau léger avec un mât en aluminium et de bonnes voiles peut être extrêmement performant et surtout hyper fun ! Pour un prix bien plus abordable et en éliminant les soucis de maintenance de certains bateaux. Mais ce n’est pas forcément la direction que prend le marché [rire !]. Pour les bateaux à moteur, je pense que le mix motorisation électrique/foils est intéressant..."
Figaro Nautisme : Yacht Design Collective en chiffres ?
François Perus et Romain Scolari : "L’agence fête ses 10 ans cette année. Le Corsair Pulse 600, notre premier bateau a été dessiné en 2015. Nous avons réalisé entre 35 et 40 bateaux à ce jour pour 350 unités mises à l’eau. Nous avons aussi 7 bâtiments flottants à Paris et 4 autres en cours. Enfin, 3 grandes unités de 69 pieds sont en chantier."
Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
François Perus :" La dernière, sur mon Pandira 8,50m, un proto que nous avons dessiné et sur lequel je m’éclate vraiment. La prochaine ? Sur un petit trimaran de 4 m sur 4 que nous avons aussi conçu et que je remets à l’eau ce weekend. Un bateau construit à 95% en bois. Une véritable petite bombe !"
Romain Scolari : "La dernière navigation, c’était tout simplement hier. Je me suis mis au Wingfoil et j’adore ça ! Je fais le plein de sensations et je reste connecté avec les nouvelles technologies. En navigant sur ce type d’engin, on comprend vraiment plein de choses et c’est un vrai plus pour nos prochains dessins.
Et dans 4 jours, nous louons en famille un Dufour 35 Classic de 2010. Un moment de partage avec les enfants pour leur faire comprendre pourquoi je fais ce métier !"