
La Santa María : le navire amiral d’une expédition audacieuse
La Santa María était le plus imposant des trois navires de l’expédition. Construite probablement à Pontevedra, en Galice, c’était une nao, un navire de commerce espagnol à coque ronde et large, conçu pour le transport de marchandises lourdes. Longue d’environ 25 mètres et large de huit, elle jaugeait près de 100 tonneaux. Avec ses trois mâts et ses voiles carrées, elle n’était pas la plus maniable, mais offrait une stabilité précieuse sur les longues traversées.
Christophe Colomb choisit d’en faire son navire amiral, bien qu’elle n’appartînt pas à lui mais à Juan de la Cosa, célèbre navigateur et cartographe. À son bord, une quarantaine d’hommes embarquèrent, parmi lesquels des marins de Palos, des interprètes, un chirurgien, et même un mousse d’à peine douze ans. C’est sur la Santa María que Colomb tint son journal de bord et inscrivit, le 12 octobre 1492, l’observation des premières terres du « Nouveau Monde ».

Mais la gloire du navire fut de courte durée. Le 24 décembre, alors que l’équipage célébrait la Nativité, la Santa María s’échoua sur un récif près de l’actuelle Haïti. Incapable de la dégager, Colomb fit démonter le navire et utilisa son bois pour bâtir un petit fort, La Navidad, première implantation européenne dans les Amériques. L’épave, ensevelie depuis cinq siècles, n’a jamais été retrouvée malgré de nombreuses expéditions sous-marines.
La Niña : la caravelle fidèle et rapide

La Niña, de son vrai nom Santa Clara, appartenait à la famille Niño, de Moguer, d’où son surnom. C’était une caravelle typiquement portugaise, fine, rapide et légère, conçue pour la navigation côtière mais capable de grandes traversées après quelques ajustements. Avant l’expédition, Colomb fit remplacer ses voiles latines par des voiles carrées afin d’affronter plus efficacement les vents de l’Atlantique.
Avec ses 20 mètres de long et son équipage d’environ 25 hommes, la Niña fut sans doute le navire le plus performant du trio. Elle se montra stable, résistante et remarquablement manœuvrable. Après le naufrage de la Santa María, Colomb la désigna comme son nouveau vaisseau amiral. C’est donc sur son pont qu’il rentra en Europe au terme d’un voyage éprouvant, affrontant une tempête violente au large des Açores avant de se réfugier au Portugal, épuisé mais victorieux.
La Niña participa ensuite au deuxième voyage de Colomb en 1493, transportant colons et vivres vers les Antilles. On la retrouve encore dans des registres de Séville en 1498, engagée dans le commerce avec les îles, avant que sa trace ne se perde. Sa réputation, en revanche, resta intacte : pour Colomb, c’était « le plus fidèle et le plus rapide des navires qu’il ait commandés ».
La Pinta : la première à apercevoir le Nouveau Monde
La Pinta était commandée par Martín Alonso Pinzón, un marin respecté de Palos, qui finança même une partie de l’expédition. Plus rapide que la Santa María et plus spacieuse que la Niña, cette caravelle combinait vitesse et robustesse, avec ses 21 mètres de long et ses trois mâts.
C’est à son bord que Rodrigo de Triana, un marin de l’équipage, cria le premier « Terre ! » à l’aube du 12 octobre 1492. L’histoire retient cet instant comme le moment où l’Europe posa symboliquement le regard sur un continent inconnu. Mais la Pinta eut un parcours plus mouvementé que ses compagnes : son capitaine, en désaccord avec Colomb sur la route à suivre, prit la liberté de naviguer seul vers Cuba, puis Haïti, avant de retrouver le reste de la flotte.
Revenue en Espagne quelques jours avant Colomb, la Pinta arriva au port de Bayonne en mars 1493. Son équipage, affaibli par la maladie, dut être mis en quarantaine. On perd ensuite sa trace dans les années qui suivirent, probablement démantelée après avoir servi quelques années encore dans le cabotage local.

Trois destins pour une même épopée
La Santa María, la Niña et la Pinta symbolisent à elles seules l’esprit de découverte du XVe siècle : des embarcations modestes, en bois de chêne ou de pin, menées par des marins qui ignoraient tout des dangers de l’océan. Leur traversée de 1492 changea la perception du monde connu et marqua le début de l’expansion européenne vers les Amériques.
Derrière l’image romantique de l’exploration, ces navires rappellent aussi les limites techniques de l’époque : absence de cartes précises, instruments rudimentaires, conditions de vie éprouvantes. Les hommes dormaient sur le pont, partageant l’espace avec les provisions, et se nourrissaient de biscuits secs, de lard et de vin. L’expédition de Colomb fut à la fois un exploit et une épreuve humaine.
Héritage et répliques modernes
Aujourd’hui, les trois navires continuent de fasciner historiens et passionnés de mer. Des répliques fidèles de la Santa María, de la Niña et de la Pinta ont été construites pour commémorer les 500 ans du voyage de Colomb en 1992. Ces copies naviguent ou sont exposées dans différents ports : Huelva, Palos de la Frontera, Séville, ou encore à Saint-Domingue, où la Santa María est honorée comme le symbole de la première rencontre entre l’Europe et le Nouveau Monde.
Au-delà de leur aspect légendaire, ces navires racontent le courage, la curiosité et les contradictions d’une époque où le monde bascula dans la modernité. Leur mémoire flotte encore, portée par le vent de l’histoire.