Transat Café L’Or 2025 : une édition hors norme et quatre duos au sommet
4 classes, 4 parcours, 4 duos vainqueurs, la Route du café a été encore une fois le théâtre d’une formidable régate à l’échelle de l’Atlantique. La mise en scène a dû s’adapter aux caprices de l’océan, avec une dépression qui contraint l’escale des Class40 et un essoufflement des alizés, si bien que la pièce s’est jouée sur près d’un mois, du 26 octobre au 24 novembre !
Le scénario n’a pas manqué de rebondissements et dans chaque catégorie, c’est une prestation de haut niveau qu’ont livré les acteurs. Quatre duos sortent tout en haut de l’affiche :
- Tom Laperche et Franck Cammas (SVR Lazartigue, ULTIM),
- Jérémie Beyou et Morgan Lagravière (Charal, IMOCA),
- Baptiste Hulin et Thomas Rouxel (Viabilis Océans, OCEAN FIFTY),
- Guillaume Pirouelle et Cédric Chateau (Seafrigo-Sogestran, CLASS40),
Des noms qui rejoignent ceux déjà gravés sur les pavés du bassin Paul Vatine au Havre.
L’éclat de ces tandems ne serait rien sans le talent des seconds rôles et quelques trajectoires brillantes et inattendues qui ont fait mentir les pronostics. Alors que la ligne d’arrivée a fermé le 24 novembre, à 8 heures en Martinique (13h à paris), il est temps de dresser le bilan sportif de cette 17ème édition.
Depuis 1993, la Route du café rappelle tous les deux ans qu’à l’automne, l’océan Atlantique est toujours coriace. Il peut se brusquer lorsque 74 bateaux frappent à sa porte en quittant la Manche. Et s’empêcher quand ils veulent débouler trop vite dans les alizés. Bref, pour sa 17ème édition et comme plusieurs fois par le passé, il a fallu que la TRANSAT CAFÉ L’OR Le Havre Normandie, course multi-classes par excellence, s’adapte pour respecter son contrat et donner à tous les meilleures chances de régater jusqu’en Martinique. Départ avancé pour les Ocean Fifty, course en deux étapes pour les Class40, parcours raccourci pour les ULTIM... Qu’importe ! On retiendra que 74 tandems se sont élancés du Havre et 63 sont classés à Fort-de-France, un taux de réussite de 85 %, un peu supérieur à 2023 pour cette édition qui ne compte que 10 abandons dont 7 en Class40.
C’est Martinique Horizon qui a sonné le clap de fin en franchissant le dernier la ligne d’arrivée dimanche 23 novembre à 14h41 (heure de Paris). Un symbole fort, la revanche sur le hors temps de 2023 pour Jean-Yves Aglaé qui, associé cette année à Moane Mangattale, boucle le parcours dans les temps. A chacun sa victoire.
Cette 17ème édition était aussi celle où la présence féminine était la plus forte dans l’histoire de la course avec 18 engagées dont 5 tandems 100% féminin. Comme en matière de sécurité routière, les filles conduiraient-elles mieux que les garçons ?! Il n’y a que deux abandons chez les skippeures et quelques performances sont à relever : Francesca Clapcich rentre dans les annales avec sa deuxième place en IMOCA, tout comme Justine Mettraux qui termine cinquième. En Ocean Fifty, Anne Claire Le Berre et Elodie-Jane Mettraux bouclent le parcours, pour leur première en multicoque. Et en Class40, on salue la belle performance du tandem Cap pour Elles. sur Engie-Dessine-moi la Hight tech, Aina Bauza Roig et Axelle Pillain signent une belle 20ème place, arrivées 17ème de la deuxième étape dans un tir groupé féminin puisque l’Irlandaise Pamela Lee, lauréate du dispositif Cap pour elles il y a deux ans et qui était associée en 2025 à l’américain Jay Thompson, leur succèdent. Sacha Lanièce/Sanni Beuck complètent ce trio en se classant 19ème de la 2e étape et 18ème au général.
ULTIM : UNE PREMIÈRE ET UN RECORD
Ils faisaient partie des grands favoris de cette Route du café, sur un bateau arrivé à maturité après avoir déjà terminé deux fois deuxième à Fort-de-France en 2021 et 2023. Tom Laperche et Franck Cammas étaient imbattables cette année et pourtant, leurs trois adversaires n’ont pas ménagé leurs efforts pour les faire douter. Si l’avarie survenue au tenant du titre Maxi Banque Populaire XI le lendemain du départ a privé Tom et Franck de leur adversaire le plus performant sur le papier, ils ont notamment du maintenir à distance Sodebo Ultim 3 (Thomas Coville et Benjamin Schwartz), très incisif tout au long du parcours et qui empoche une très belle deuxième place. Intouchables au près sur la descente jusqu’à Madère, une allure où l’aéodynamique de SVR Lazartigue le place au dessus du lot, ils ont patiemment engrangé les milles pour se constituer un petit matelas et ont évité ensuite toutes les chausse trappes du parcours. En panne à l’entrée du Pot au noir, c’est eux qui en ressortent le mieux profitant de leur décalage dans l’Ouest. Un équateur météo long et compliqué cette année qui a mis notamment au supplice Armel Le Cléac’h et Sébastien Josse 24 heures plus tard...
L’avance de SVR Lazartigue culmine à près de 200 milles au passage de l’archipel San Pedro et San Paolo à l’entrée de l’hémisphère Sud et sur le long bord final de portant, ils contrôlent leurs poursuivants pour s’imposer. C’est la première grande victoire en ULTIM pour Tom Laperche, la cinquième Route du café empochée pour Franck Cammas, toujours en multicoque, qui détient le record et note à l’arrivée : « Tom a la vie devant lui, le talent et la rigueur pour être un grand champion et c’est déjà un grand champion. Quand je le regarde, j'ai l'impression que je me regarde, avec la même concentration. »
Comme en 2023, 100% de la flotte des ULTIM termine la course, signe d’une classe arrivée à maturité.
IMOCA, LA VOLONTÉ ET LE TALENT
Canalisée dans l’Est de l’Atlantique jusqu’aux Canaries avant de pouvoir s’élancer vers la Martinique, la course des IMOCA n’a pas donné lieu à de grandes envolées stratégiques mais elle a été d’une intensité sportive incomparable. Entre Le Havre et Fort-de-France, pas moins de huit changements de leader ont eu lieu en tête de course ! Si Charal s’est révélé clairement au dessus du lot dans l’alizé, un range de vent qu’avait spécialement travaillé le tandem Jérémie Beyou et Morgan Lagravière, avec notamment un gennaker spécialement coupé pour cette allure, la bagarre a été très rude pour s’installer définitivement en tête de la flotte.
Au près dans la descente de l’Atlantique, le plan Manuard conçu en 2022 et toujours à la recherche d’une grande victoire au départ du Havre, a bataillé en tête avec Macif Santé Prévoyance, très à l’aise à cette allure mais aussi Allagrande Mapei et 11th Hour Racing.
Le climax de cette bataille a été atteint entre Madère et les Canaries lorsque les IMOCA ont sérieusement ralenti dans une dorsale complexe à traverser, les emmenant flirter avec les côtes africaines. Des conditions légères qui ont mis à la peine Charal et son jeu de voiles très orienté medium-brise, et qui ont ravi certains outsiders à l’image de Team Snef-TeamWork et surtout 11th Racing. Incontestablement, le double mixte formé par Francesca Clapcich et Will Harris sur l’ancien Malizia aura été une des sensations de cette Route du café, prenant même la tête pendant plus de 24 heures avant la grande cavalcade au portant. Une allure où ils n’ont pu résister longtemps au retour de Macif Santé Prévoyance, avant de leur brûler la politesse à l’arrivée sur la Martinique pour terminer à la deuxième place ! Au final, Charal l’emporte sans discussion avec près de six heures d’avance. C’est la deuxième victoire pour Jérémie Beyou, récompensé de sa ténacité sur un bateau qu’il a voulu différent, et la troisième consécutive pour Morgan Lagravière, un autre record sur la Route du café pour ce garçon aussi discret que brillant.
100 % des IMOCA terminent la course, avec néanmoins des écarts considérables et des histoires révélatrices de la dureté de ces bateaux comme celle de Mathieu Blanchard, l’ultra-trailer qui se souviendra longtemps de son baptême du feu en 60 pieds aux côtés de Conrad Colman !
OCEAN FIFTY : UN MATCH TRÈS DISPUTÉ
Partis la veille du coup d’envoi des autres classes pour éviter le plus gros du mauvais temps en Manche, les Ocean Fifty se sont fait cueillir à froid les 12 premières heures de course avec trois chavirages consécutifs entre le Cotentin et Ouessant. Une douche froide, sans autre dégât que du matériel heureusement, qui interroge et rappelle qu’une transat automnale reste un exercice à haut risque sur ces multicoques légers.
Si à l’arrivée, les leaders ont dit avoir été marqués par l’infortune de leurs camarades, personne n’a vraiment molli entre la pointe Bretagne et la Martinique, ni dans la descente de l’Atlantique ni dans les grains d’alizé qui ont marqué la fin du parcours. La course a été belle et trois bateaux ont eu tour à tour leur moment de gloire : Wewise (Pierre Quiroga et Gaston Morvan) sur toute la descente jusqu’à Madère, Edenred 5 (Emmanuel Le Roch et Basile Bourgnon) aux Canaries et dans l’alizé jusqu’à ce qu’une avarie technique les condamne à de la figuration à deux jours de la fin alors qu’on les croyait déjà vainqueurs et enfin, l’inattendu Viabilis Ocean. Profitant de l’absence de marquage de Wewise à l’arrivée, le tandem Baptiste Hulin-Thomas Rouxel l’emporte avec brio. Et c’est Le Rire Médecin Lamotte (Luke Berry-Antoine Joubert) sur un autre Ocean Fifty d’ancienne génération qui complète le podium. Un podium constitué en moins de trente minutes dans cette classe où les anciens trimarans bien refeetés restent concurrentiels. Mon Bonnet Rose qui ferme la marche termine moins de 24 heures après le premier ce qui confirme l’homogénéité du plateau, le plus fourni dans l’histoire de la classe sur la Route du café et qui doit maintenant se reconstituer.
CLASS40 : LA BATAILLE NAVALE
Contrainte de disputer sa Route du café en deux étapes avec une escale de quatre jours à La Corogne pour préserver du mauvais temps la plus large flotte engagée (42 bateaux), la catégorie Class40 aurait pu passer aux oubliettes de cette édition 2025. Tout au contraire, elle ressort grandie d’une deuxième étape enthousiasmante avec deux options Nord ou Sud radicales, sur un terrain de jeu qui n’a jamais paru aussi grand.
Avec seulement 21 minutes d’écart à la Corogne entre les deux leaders, on aurait pu croire les compteurs à zéro au départ de la Corogne le 1er Novembre. 16 jours plus tard, c’est pourtant le chronomètre que déclenchent sur la ligne Guillaume Pirouelle et Cédric Chateau (Seafrigo Sogestran), avant de se prendre dans les bras. Ils ne battent SNSM Faites un Don !, vainqueur de la première étape, que de 7 minutes sur la somme des deux manches. La victoire est aussi belle pour les Normands qui ont cru en leur option au Sud et prennent leur revanche sur l’édition 2023, que cruelle pour Corentin Douguet et Axel Tréhin, longtemps leaders au Nord. Ces derniers signent la trajectoire la plus courte et la plus dure de la Route du café. Leur SNSM faites un don ! a eu plus de 400 milles d’avance avant de tout perdre dans les hautes pressions du milieu de l’Atlantique pour revenir sur la fin. Une transatlantique vécue comme sur des montagnes russes sur le plan émotionnel, dont William Mathelin Moreaux et Pietro Luciani (Les Invincibles) complètent brillamment le podium.
Ces performances ne doivent pas occulter le très bon niveau sportif dans toute la première moitié du classement où la régate a été acharnée. Des talents comme Michel Desjoyeaux ou Vincent Riou relégués au delà de la vingtième place en sont une illustration.
Marquée également par de nombreux abandons dont un démâtage, la course des Class40 est celle où les écarts ont été les plus importants. Attendu mardi matin à Fort-de-France, Rêve à perte de vue ne sera pas classé mais son équipage engagé sous le signe de l’inclusion (Joël Paris est malvoyant) donne un bel exemple de ténacité dans cette catégorie où la transat reste ouverte aux projets amateurs.




