Naviguer dans le canal du Mozambique : défis, saisons et secrets d’une zone mythique

Par Virginie Lepoutre

Entre Madagascar et la côte africaine, le canal du Mozambique concentre certains des courants les plus puissants, des conditions météo parmi les plus contrastées de l’océan Indien et des paysages marins d’une rare intensité. Justement réputé difficile, ce couloir est pourtant devenu une route majeure des grands voyageurs. Encore faut-il connaître ses saisons, ses pièges et ses escales pour transformer ce passage engagé en véritable expérience de grande croisière.

Canal du Mozambique : exigeant, mais une superbe route de grande croisière

Entre la côte africaine et Madagascar, le canal du Mozambique a longtemps traîné une réputation de piège à bateaux : courant fort, coups de vent violents, cyclones, insécurité à terre... Pourtant, bien préparé, ce « bras d’océan » de près de 1 700 km de long, large de 400 à 1 000 km et profond de plus de 3 200 m, est aussi l’une des plus belles routes de grande croisière du sud-ouest de l’océan Indien.

L’enjeu, pour un équipage en voyage, est de cesser de le considérer comme un simple bord le long de la côte, et de l’aborder comme ce qu’il est réellement : un couloir à la navigation compliquée, dont l’échelle est à considérer au niveau océanique et qu’il faut apprivoiser en jouant sur le calendrier, les fenêtres météo et le choix des escales.

Un canal à l’échelle d’un océan

Géographiquement, le canal du Mozambique est un vaste entonnoir où s’engouffrent courants, vents et dépressions tropicales. Au sud, il s’ouvre sur l’Agulhas, l’un des courants les plus puissants de la planète, qui file vers le sud le long de la côte sud-africaine. Au nord, il se referme entre le cap d’Ambre, à la pointe nord de Madagascar, et les Comores.

Dans ce couloir, le courant de Mozambique descend globalement du nord vers le sud, avec des vitesses moyennes de 1 à 2 nœuds dans la partie nord, et de 2 à 5 nœuds plus au sud, au large de l’Afrique du Sud. Il n’est pas linéaire : de grands tourbillons anticycloniques de 300 km de diamètre se forment et se déplacent, modifiant localement la force et la direction du flux. Pour un voilier, cela veut dire des journées « gratuites » à plus de 8 nœuds quand tout se met dans le bon sens... mais aussi des zones où l’on se retrouve planté contre un courant puissant, voire dans une mer croisée très désagréable.

Les vents dominants changent avec la latitude et la saison, mais deux régimes comptent pour les plaisanciers : les alizés de sud-est (SE à ESE), qui dominent du côté de Madagascar et soufflent régulièrement entre 20 et 30 nœuds en saison sèche ; et les flux de nord-est puis de sud-ouest qui accompagnent les dépressions venant du sud sur la côte africaine, avec ces fameux coups de vent de SW, les « busters » sud-africains, capables de monter à 40-50 nœuds et de lever une mer cassante de 6 à 8 m quand ils s’opposent au courant d’Agulhas.

C’est ce cocktail vent contre courant qui « casse » des bateaux, beaucoup plus que la simple force du vent.

Cyclones : respecter le calendrier...

Autre acteur incontournable : la saison cyclonique du sud-ouest de l’océan Indien. Officiellement, elle s’étend du 15 novembre au 30 avril, avec un pic d’activité de décembre à mars. En moyenne, le bassin génère une dizaine de systèmes nommés par saison, dont environ 13 % se forment directement dans le canal du Mozambique.

Les dernières saisons ont rappelé à quel point la région peut être durement touchée : le Mozambique et Mayotte ont encaissé plusieurs cyclones majeurs, avec des vents dépassant localement 180 km/h et des pluies diluviennes. Pour un plaisancier, cela ne signifie pas que toute navigation est impossible, mais que le calendrier devient non négociable :

Au nord du canal (Mayotte, Nosy Be, Comores), on évite la période décembre-mars, où la probabilité d’être pris dans la trajectoire d’un système sévère augmente nettement.

Au sud (Mozambique, côte sud-africaine), les restes de cyclones peuvent encore générer des épisodes de très fortes pluies et de houle longue résiduelle, même en fin de saison.

En pratique, la majorité des équipages de grande croisière considèrent que la « fenêtre raisonnable » pour transiter est comprise entre fin avril et fin octobre, avec des nuances selon le segment choisi.

Une zone considérée comme « la plus technique » par les grands voyageurs

Dans les échanges entre circumnavigateurs, le canal du Mozambique revient souvent comme le tronçon le plus technique d’un tour du monde réalisé par la route des Mascareignes et de l’Afrique du Sud. Les navigateurs et auteurs de guides qui y ont accumulé des dizaines de milliers de milles, comme Des Cason ou Vince Nel, insistent tous sur la même idée : ici, les règles de base de la navigation hauturière (anticipation météo, gestion du courant, choix de la route) ne sont pas optionnelles.

Cela ne signifie pas que la zone est réservée aux professionnels : des couples, des familles et des équipages en grande croisière y passent chaque année sans drame. Mais tous racontent en substance la même chose : ils ont traité ce passage comme de vraies traversées océaniques de plusieurs centaines de milles, en acceptant de patienter parfois des semaines dans un mouillage de Mayotte, Nosy Be ou Richards Bay pour attraper « la » fenêtre météo qui convenait.

Trois terrains de jeu, trois logiques de navigation

Pour un plaisancier, le canal du Mozambique n’est pas un bloc uniforme. On peut le découper en trois zones de navigation, avec chacune sa personnalité, ses attraits et ses contraintes.

Nord : autour de Mayotte, des Comores et de Nosy Be

Nosy be Madagascar
Nosy be Madagascar

La partie nord, entre le cap d’Ambre, Mayotte et les Comores, est probablement la plus accessible en termes de distances et de possibilités d’abri. Certaines îles sur le trajet offrent d’immenses lagons, des passes bien définies, des mouillages derrière les récifs, des villages accessibles en annexe et une faune sous-marine parmi les plus riches de l’océan Indien.

Du côté mozambicain, on reste loin à l’ouest ; ici, le jeu se fait surtout entre les mouillages de Nosy Be et ceux de la côte nord-ouest de Madagascar (Moramba Bay, les Mitsio, Nosy Iranja) et ceux de Mayotte, utilisée par beaucoup comme base logistique « européenne » au cœur du canal. La navigation ressemble alors à une grande croisière tropicale classique, avec des étapes de 30 à 80 milles.

Centre : cap Saint-André, Primeiras, Bazaruto

Bazaruto
Bazaruto

Plus au sud, entre le cap Saint-André (ouest de Madagascar) et l’archipel de Bazaruto, on change d’échelle. La traversée du canal depuis la côte malgache représente déjà environ 300 milles jusqu’à Ilha de Moçambique, à l’aplomb de Nacala, puis encore plusieurs centaines de milles vers le sud si l’on enchaîne vers les Primeiras, Bazaruto, Inhambane et enfin Inhaca, face à Maputo.

De nombreux routages conseillent une route « en escalier », qui utilise la confluence des courants au cap Saint-André pour filer vers l’ouest, attraper le courant de Mozambique au large, puis descendre en profitant d’escales espacées de 200 à 300 milles (Primeiras, Bazaruto, Inhambane, Inhaca).

Sur le papier, ces arrêts font rêver : Bazaruto, avec ses cinq grandes îles, ses dunes géantes, ses bancs de sable blancs et ses dugongs, est régulièrement présenté comme l’un des plus beaux archipels d’Afrique.

Mais la réalité 2020-2025 oblige à nuancer le tableau : autour de Bazaruto, plusieurs rapports signalent depuis 2020 une hausse des incidents où des voiliers au mouillage ont connu des soucis - agressions à bord, menaces et même poursuites pour finalement se faire « chasser » de l’archipel par des embarcations locales, avec encore des cas signalés en 2025. Cela ne rend pas toute la zone infréquentable, mais impose de se renseigner finement, de multiplier les sources d’information locales et, le cas échéant, de renoncer à certains mouillages autrefois considérés comme des « classiques ».

Inhambane
Inhambane

Sud : du Mozambique à l’Afrique du Sud

Au sud du canal, entre Vilanculos, Maputo, Richards Bay et Durban, la navigation est dominée par le courant d’Agulhas et le passage des fronts venant du sud. Ici, le problème n’est plus le cyclone, mais le timing : même dans la « bonne » saison, un front de sud-ouest peut remonter toutes les 3 à 5 jours, transformant une mer portante confortable en machine à laver impraticable si le vent bascule plein sud-ouest face au courant.

La plupart des équipages qui descendent vers l’Afrique du Sud attendent donc à Richards Bay ou Maputo la bonne fenêtre : départ dans un flux de nord-est qui tourne progressivement au nord-ouest puis à l’ouest en faiblissant, avec un objectif d’arrivée impérativement avant le retour du sud-ouest fort. Ceux qui remontent vers le nord profitent, à l’inverse, de ce même courant et de ces vents pour couvrir des distances importantes... à condition de ne pas se retrouver pris dans un SW contre le courant.

Maputo
Maputo

Dangers réels : ce qui mérite votre attention

La situation sécuritaire au Mozambique s’est dégradée ces dernières années dans la province de Cabo Delgado, avec la présence de groupes armés liés à l’organisation État islamique, ce qui a entraîné des attaques à terre, des déplacements de population et des opérations militaires. Les avis de voyage britanniques ou français restent très prudents sur cette région nord. En complément, des incidents ciblant des voiliers au mouillage ont été signalés dans certains archipels comme Bazaruto depuis 2020.

Il n’existe pas de règle simple. La seule approche raisonnable est : consulter systématiquement les avis récents (forums de grande croisière, groupes de navigateurs), suivre les recommandations des autorités, éviter les zones où l’activité armée est avérée, et, le cas échéant, renoncer à certaines régions.

Canal du Mozambique : exigeant, mais pas réservé à une élite

Au moment de tracer une route de tour du monde ou une grande boucle dans l’océan Indien, beaucoup de plaisanciers reconnaissent que la simple mention du « canal du Mozambique » les fait hésiter. Quand on regarde les faits, on comprend pourquoi : courant puissant, météo changeante, cyclones, zones d’insécurité à terre.

Mais les mêmes témoignages montrent aussi autre chose : pour qui accepte d’y mettre le temps, d’y amener un bateau bien préparé et de s’imposer une vraie discipline météo, ce couloir devient une formidable route de grande croisière, avec des escales qui comptent parmi les plus marquantes d’un voyage : dunes géantes et bancs de sable des archipels mozambicains, lagons turquoise de Mayotte, baies sauvages de la côte ouest malgache, baleines et dauphins croisés sur la route.

En résumé, le canal du Mozambique n’est ni un no man’s land infranchissable, ni un terrain de jeu à aborder à la légère. C’est une zone de navigation engagée, mais accessible à un équipage amateur bien préparé, qui acceptera de traiter chaque segment comme une petite traversée océanique, de s’appuyer sur des prévisions météo de qualité. Le prix à payer pour vivre l’exceptionnel !

© Google Earth

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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
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Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.