
Loin du traditionnel tour des remparts, la ville de Saint-Malo se découvre par la mer, au gré de ses nombreuses fortifications. Une balade accessible avec un kayak ou son bateau personnel. Les forts se visitent avec une vedette commerciale ou à pieds, par marée basse.
Retrouvez la version pédestre de ce circuit dans les pages du Figaro daté de ce samedi 22 février
La fière silhouette de la ville fortifiée ne s’apprécie jamais mieux que par la mer, comme les marins qui revenaient du bout du monde, les cales chargées d’épices, ou comme les navires étrangers qui se lançaient à l’attaque du rocher, stratégique mais jamais pris. La ceinture militaire, terminée par Vauban au 17e siècle, offre aujourd’hui de splendides panoramas et des anecdotes précieuses pour comprendre l’épopée de la cité corsaire.
Le Fort de la Varde
Venu des rives normandes ou de Chausey, prenez le chenal des pointus qui longe la pointe de la Varde à bâbord. Ce promontoire rocheux est la terre d’accueil du plus oriental des forts de la ceinture militaire malouine, aujourd’hui en ruines. « Cette position stratégique permettait de surveiller à la fois la baie de Saint-Malo et la pointe du Grouin en direction du Mont Saint-Michel », remarque l’historien Alain Roman. La cité corsaire, au sommet de sa puissance à l’orée du 18e siècle, était au cœur d’une guerre maritime entre les Français, les Anglais et les Hollandais. Les falaises ne craignent plus les envahisseurs et accueillent désormais les goélands et cormorans, fous de bassan et sternes, qui jouent avec les effets de vents avant de plonger pour récupérer leur quatre heures. Les randonneurs y trouveront le sentier des douaniers qui longe la côte bretonne jusqu’à la presqu’île de Guérande. Un sentier où se chuchotent mille secrets de contrebandiers. En poursuivant vers la cité corsaire, vous voyez défiler, toujours à bâbord, le phare de Rochebonne qui ne se dévoile que des flots, la longue plage du Sillon où il fait bon se baigner dans des rouleaux vivifiants et, juste derrière elle, les villas 1900 de la digue. Si vous étiez venu ici sur un bateau corsaire, il y a 300 ans, vous n’auriez vu qu’une dune surmontée de quelques moulins, reliant la ville fortifiée à la terre par marée basse. Saint-Malo était alors « une couronne de pierre posée sur les flots », selon les mots de Flaubert.
Le Fort National
Vous arrivez maintenant à hauteur du Fort National, dont les souterrains plongent dans les profondeurs des roches. Du temps des corsaires, ce vaisseau de pierre accueillait un marin comme commandant. « Fût-il manchot ou jambe de bois », recommandait l’architecte Vauban pour ses forts. Il lui fallait connaître les vents, les marées et la manœuvre des vaisseaux pour anticiper et parer les attaques ennemis. C’est aussi au Fort National, le 7 août 1944, que les troupes allemandes ont pris en otage les 380 hommes valides restés à Saint-Malo, craignant une rébellion. « Ils avaient également enfermé les pompiers de la ville… Avant de se dire qu’ils seraient plus utiles à l’extérieur », note l’historien Alain Roman. Malheureusement, 18 hommes n’ont jamais retrouvé la terre ferme, tombés sous les obus de la libération. La cité historique, détruite à 80%, sera reconstruire pierre après pierre pendant quinze ans.
Les rochers qui séparent le Fort National et la Tour Bidouane, à l’angle des remparts, fut le théâtre de la « machine infernale ». Il s’agissait d’un bateau chargé d’explosifs, lancé par les Anglais sur la poudrière de la tour Bidouane en 1693. Le stratagème aurait pu causer la perte de la cité corsaire mais un violent coup de vent a dévié l’explosion contre un rocher, ne faisant qu’une victime côté malouin : un chat. La rue du chat qui danse, nichée contre les rochers, témoigne encore de cette anecdote.
Le Grand et le Petit Bé
Vous voilà maintenant à hauteur de l’île du Grand Bé, face à la croix qui signale la tombe de François-René de Chateaubriand. L’écrivain a souhaité être enterré pour poursuivre sa conversation avec la mer. Les Malouins révoltés contre leur évêque s’y sont également rassemblés en 1308, bien décidés à élire un maire. Vous pouvez accéder à l’île à pieds par marée basse car 500 mètres la sépare de la plage de Bon Secours. Mais la mer forme de dangereux courants en remontant et la situation est si piégeuse qu’un bon samaritain veille bénévolement sur les imprudents, gilet fluo sur le dos et corne de brume à la main. « L'eau arrive vite », insiste Hugo Besnier, autoproclamé Sonneur des Bés. Saint-Malo connaît, comme le Mont Saint-Michel, les plus fortes marées d’Europe.
Le fort Vauban du Petit Bé, tout de granit vêtu, est situé juste derrière le Grand Bé. Il a vécu 200 ans au rythme des soldats, accueillant une garnison de 160 hommes, avant d’être délaissé et de tomber pierre après pierre. « Il risquait d’être le premier monument historique déclassé », se souvient Alain-Etienne Marcel. Après avoir passé de nombreuses années au chevet du Fort national, ce passionné a commencé à restaurer le fort le 1er janvier 2000. « Ne pouvant utiliser un hélicoptère pour transporter les matériaux, je rénove comme au 18e siècle avec des méthodes efficaces, économes en argent mais pas en temps ! » Il a remonté 172 pierres tombées à l’eau, hissé deux canons de 1900 kilos sur les rochers et parcouru la France à la recherche des matériaux d’époque. Lorsqu’il monte sur le fort– « au moins trois jours par semaine » - il laisse flotter un drapeau pour signaler sa présence et guide les curieux dans les recoins de son domaine. Vous pouvez le rejoindre à pieds lors des plus forts coefficients, comme le week-end des 1er et 2 mars, ou en navette au départ de la cale des Bés.
Visites guidées du Petit Bé au 06.08.27.51.20. Tarif, 5 euros, gratuit pour les enfants de moins de 7 ans, 20 euros pour l’année. Renseignements sur www.petit-be.com
Fort de la Conchée
Le Fort de la Conchée, chef-d’œuvre de Vauban, est maintenant à bâbord. "Ce poste est d´une conséquence infinie pour prévenir le bombardement de Saint-Malo, mais les difficultés de s´y établir sont immenses", avait lancé le célèbre architecte qui ne souhaitait « rien de mieux fait, ni de plus fort que les voûtes de la Conchée ». Le rocher sur lequel le fort de la Conchée émergeait à peine des vagues à marée haute. Le monument appartient désormais à 21 propriétaires, réunis au sein de la Compagnie du Fort de la Conchée. Il est parfois possible de le visiter avec une navette lors des journées du patrimoine.
Fort de l’île Harbour
Il est désormais temps de prendre le chenal principal, cap sur le fort d’Harbour. La pointe arborée de la Cité d’Aleth, un temps capitale du peuple celte des Corossoliers, se devine sur votre arrière-bâbord. Et droit devant, toujours à bâbord, se dresse le fort d’Harbour. Prenez alors le temps de remonter le cours de l’histoire. Il se raconte qu’en 709, un raz-de-marée isola cet ilot rocheux, alors port primitif de la Cité d’Aleth. « On navigue à la frontière de la légende, prévient l’historien Alain Roman. Mais il est établi que le fleuve La Rance se jetait autrefois bien plus loin, à proximité de l’île de Cézembre. » Le Fort Harbour est désormais une propriété privée et l'acteur Alain Delon en aurait même détenu la clef. Il offre un mouillage d’exception car il repose sur du sable blanc qui offre une couleur menthe à l’eau à la mer.