
Quels souvenirs gardez-vous de la longue aventure de l’Hydroptère ?
L’Hydroptère c’est une histoire très compliquée avec trois crashs, mes trois filles sont nées entre chaque crash, un chavirage hyperviolent à 50 nœuds en 2008 avec des blessés légers, et puis ce double record mondial en 2009. Après j’ai vendu ma maison pour traverser le Pacifique et j’étais ruiné. Je savais que c’était un aller sans retour, et en arrivant, l’état de Hawaï a saisi le bateau. J’ai un copain, Gabriel, qui l’a racheté 20 000 dollars et qui l’a ramené chez Airbus à Nantes. Voilà le résumé de l’histoire, mais je m’en fiche de posséder un bateau. Nos sillages sont importants, mais un sillage est éphémère. Je ne suis pas dans une logique de possession, ce que j’aime c’est faire bouger les lignes, lier l’aérien et le maritime, disrupter, faire sauter le système, à la Tesla. Pour cela, il y a selon moi, deux composantes absolument fondamentales. Il y a le design, qui attire les hommes, comme le petit Riva ici me fait rêver, et la technologie. J’ai consacré une vingtaine d’années de ma vie à l’Hydroptère, puisque j’ai rencontré Eric Tabarly quand j’avais 19 ans. Je suis allé le voir à Bénodet, sur les conseils d’Alain De Bergh, ingénieur chez Dassault, qui m’avait dit « va voir Eric, vous avez cette même idée de faire voler un bateau ». Je suis arrivé avec ma 2CV, ma planche à voile sur le toit, et Eric me dit « mais d’où tu viens où tu habites ? » Comme j’habitais dans ma 2CV, il m’a dit de m’installer chez lui et donc j’ai passé plusieurs années aux côtés de ce type absolument hors normes, atypique mais fondamentalement libre. On l’a vu avec Pen Duick II, la goélette Pen Duick III, le trimaran Pen Duick IV qui deviendra Manureva, Pen Duick V avec les ballasts, la coque plate, et puis Paul Ricard. Mais ce qui était compliqué c’est qu’à l’époque les matériaux composites n’existaient pas, il n’y avait que l’aluminium, donc avec Alain De Bergh, Xavier Joubert chez ACX à Brest, ils ont fait un bateau de compromis; C’est-à-dire avec la coque centrale posée sur l’eau et de petits foils pour limiter la traînée des flotteurs. Mais cette idée que nous partagions avec Eric n’était pas techniquement possible du fait des matériaux.

J’adore me trouver face à l’inconnu, mais par moments, je ne dirais pas que ça fait peur, parce que chacun met le curseur à un certain endroit, mais c’est bien de les aborder avec une bonne équipe. Je suis très lié à Jean Le Cam, Michel Desjoyeaux et Yves Parlier avec qui on a fait les 400 coups. Yves Parlier, c’est un Monsieur, je l’avais invité pour la première traversée de la Manche. On part de Bretagne Sud, on va attaquer la houle à Ouessant. Je ne sais pas si on va arriver en Angleterre ou pas parce qu’on ne l’a jamais fait et j’aime ces situations pionnières où tu es face à l’inconnu. Je l’ai aussi invité aux Etats-Unis avec Jean Le Cam pour les essais avant la traversée du Pacifique entre San Francisco et Los Angeles à bord, avec Jacques Vincent. Avec Jean on voulait voir les falaises mythiques et le phare de Big Sur et on demande à Yves, qui était le meilleur en navigation, qui nous dit que c’était clair, qu’on pouvait y aller. Et là, on se prend les foils dans des algues monumentales, une zone signalée sur la carte mais que Yves n’avait pas vue. On avait l’hydroptère dans la houle, les trois foils empêtrés dans les algues. La nuit arrivant, on a cru qu’on allait perdre l’Hydroptère au pied des falaises. Arrivés à Los Angeles, Yves voulait sauter à l’eau pour ne pas louper son vol retour, alors qu’il y avait des requins partout ! Mais au-delà de l’anecdote, ces histoires de pionniers, tous ces projets-là, ils découlent de tout ce cheminement, toutes ces aventures où on essaie quelque chose en prenant les chemins de traverse.
Que pensez-vous des Ultims actuels qui, quelque part, sont les héritiers de l’Hydroptère ?
Il y en a un qui est bien, c’est François Gabart, parce qu’il a de l’authenticité, il a un parcours hors-norme. Alors il suscite un peu de jalousie, mais quand quelqu’un réussi il faut applaudir. L’équipe de Candela C8 par exemple, moi je leur dis bravo, leurs 70 ingénieurs ont fait du très bon travail, ça commence à marcher et je les félicite. Et puis il y a Francis Joyon, quel Monsieur. Il l’a prouvé en déposant tous les autres avec peu de moyens, seulement avec sa force physique et mentale.
Naviguez-vous pour le plaisir, en famille par exemple ?
Pour moi la voile c’est le partage, c’est naviguer en Hobie Cat 16, avec sa femme, ses enfants, ses copains. La voile est incarnée bien sûr par Tabarly qui a tout inventé, mais aussi par Hobie Alter. La voile c’est le plaisir d’un mouillage en Corse. Le symbole de la marine, c’est d’ailleurs l’ancre. La voile, pour moi, ce doit être la part du rêve, la dimension esthétique et le partage. Et le moteur c’est la mobilité dans le respect des générations à venir, donc plutôt en utilisant des matériaux recyclables. Nos bateaux par exemple, sont en aluminium. Dans une Tesla les sièges sont en fibre de bambou. Aujourd’hui tout est disponible sur l’étagère et on bouge trop lentement. Nous avons de la fibre de lin, des résines biosourcées, on peut vivre autrement. Comme le dit Bertrand Piccard, l’hydrogène c’est aujourd’hui !