
Le Figaro Nautisme : Comment se spécialise-t-on dans la vente de bateaux d’occasion dans un groupe comme Grand Large Yachting ?
Pierre Delhomeau : Comme souvent dans le nautisme, c’est avant tout une question d’opportunités et de rencontres... Je cherchais un stage de fin d’études après une école de commerce nantaise et j’ai eu une proposition d’un broker/courtier en bateau d’occasion - AYC - très orienté sur le grand voyage.
Le jour de mon arrivée, le commercial en titre de l’entreprise a démissionné... Après 4 mois de stage, j’ai été embauché. C’est comme cela que j’ai mis un pied dans le nautisme et le brokerage. Le bateau, c’est une vraie passion familiale. J’ai été en partie élevé à l’île d’Yeu et quand on est semi insulaire, savoir naviguer est indispensable [rire !]. Je suis issu du bateau à moteur à la base, la voile n’est venue que bien plus tard...
Ma carrière dans le nautisme a commencé en 2002 chez AYC, où j’ai travaillé pendant sept ans. J’y ai progressivement évolué jusqu’à devenir responsable de l’agence pour le sud de la France. C’est de cette époque que date mes premiers contacts avec Outremer avec qui nous avions mis en place un partenariat pour la vente de leurs catamarans d’occasion.
Après toutes ces années, j’ai souhaité découvrir un autre aspect du secteur et j’ai rejoint un constructeur de catamarans, Nautitech, comme directeur commercial pour développer la vente aux particuliers. L’essentiel des ventes, à cette période, se faisait sur le marché du charter.
Après 2 années, j’ai eu envie de repartir dans le sud de la France. A nouveau, j’ai eu une belle opportunité : développer une agence BENETEAU. Une aventure courte, seulement 10 mois, mais riche d’enseignements, car je n’avais jamais travaillé pour un « généraliste ».
En 2012, Grand Large Yachting m’a proposé d’intégrer le groupe pour m’occuper du brokerage. Je connaissais déjà l’équipe, nos relations étaient excellentes : je n’ai pas hésité. Je me suis d’abord concentré sur les catamarans Outremer, puis le groupe a racheté Garcia, Gunboat, ORC, RM... Au début, j’étais seul à m’occuper des ventes d’occasion, mais la charge de travail et les demandes explosant, nous sommes aujourd’hui quatre personnes. Une en Méditerranée avec moi, l’autre en Bretagne et la dernière aux Etats-Unis. La aussi ce sont de belles rencontres et une équipe au top !
Notre force est de vendre uniquement les bateaux du groupe, ce qui nous permet d’avoir l’historique complet, d’être capable d’orienter les acheteurs bien plus facilement, de connaître parfaitement les travaux à faire sur telle ou telle unité, leur couts etc. Ce que j’aime particulièrement, c’est d’être présent du premier au dernier jour de l’aventure (de l’achat à la revente), aux côtés des familles, pour les accompagner et les conseiller à chaque étape.
Le Figaro Nautisme : Quelle est la tendance du marché du bateau d’occasion actuellement ?
Pierre Delhomeau : Le marché de l’occasion a profité de l’effet Covid et nous avons connu des années assez incroyables, avec des chiffres impressionnants. Nous sommes passés de 20 bateaux d’occasion à quasi 40 unités du groupe revendues tous les ans ! Il est rare dans une industrie de multiplier son chiffre par deux en un laps de temps aussi court. L’année dernière, nous avons encore vendu plus de 35 bateaux. En 2025, nous connaissons un ralentissement avec des ventes qui se concentrent sur les plus grandes unités et des acheteurs - et c’est nouveau pour nous - qui sont parfois des primo-accédants, intéressés par la bonne réputation des bateaux du groupe.
Un marché qui se contracte, ce sont des prix qui baissent légèrement. Pendant et après le Covid, les prix étaient montés de 17%. Aujourd’hui, ils ont baissé entre 8 et 10%. C’est donc une période intéressante pour acheter, même si nous parlons avant tout de bateaux de voyage et donc d’un programme particulier et d’un choix de vie, plus qu’une simple opportunité financière. Mais avoir un bateau comme un Outremer, un Garcia ou un Allures, c’est une vrai valeur refuge dans le marché du nautisme
Le Figaro Nautisme : Quels conseils donneriez-vous à un acheteur d’un bateau de voyage, comme ceux que vous vendez au quotidien ?
Pierre Delhomeau : Vaste question... Commençons par la base : quand on achète un bateau, il faut être « amoureux » du bateau. En avoir vraiment envie. Un bateau de voyage, c’est une part de vie que vous achetez : celle du propriétaire qui vous a précédé bien sûr, mais vous achetez également ce qui deviendra votre maison pour une durée de plusieurs mois ou années.
Un bateau de voyage devient un vrai membre de la famille... D’ou l’importance de rencontrer le vendeur, de comprendre son rapport avec son bateau. J’essaye toujours de faire rencontrer les acheteurs et les vendeurs pour voir si l’histoire entre eux va « matcher ». Et quand la rencontre est belle, la vente se passe bien et la transmission est fluide.
Ensuite, plus prosaïquement, il faut éplucher la pile des factures que doit absolument avoir le propriétaire. Un bon carnet d’entretien est essentiel, un élément que nous travaillons d’ailleurs à standardiser dans le groupe.
Le choix de l’expert est tout aussi crucial. Certains sont remarquables, d’autres ... moins. Un bon expert va faire un essai en mer, tester les moteurs, grimper au mât et vérifier le gréement, sortir le bateau de l’eau pour analyser la structure, des appendices, etc. Nous ne pouvons pas être juge et partie, mais nous proposons toujours une liste de plusieurs experts aux acheteurs s’ils n’en connaissent pas.
Je recommande de passer par un courtier - encore plus si il connait son produit, sa vie, sa construction. N’est pas spécialiste qui veut. Nous parlons ici de montants tout de même très importants. Un vrai et bon courtier va certes garantir la bonne fin de la transaction et la rédaction d’un compromis sérieux qui rassure tout le monde. Mais c’est avant tout un conseiller qui doit pouvoir orienter et expliquer, ... en qui vous devez avoir confiance.
Derniers points et pas des moindres, le leasing, la création du pavillon et son choix mais aussi tout l’aspect administratif avec le transfert de propriété, les relations avec les douanes et les affaires maritimes ou l’exportation/importation. En cela un courtier saura vous orienter et vous permettre une fluidité dans votre projet et ses rouages
Le Figaro Nautisme : Acheter à l’étranger, bonne ou mauvaise idée ?
Pierre Delhomeau : Le sujet est dual : acheter son bateau aux Etats-Unis en ce moment permet de faire une économie de 12 à 14% grâce au change. Ce qui est vraiment intéressant ! Mais attention : un bateau qui est hors de l’Union Européenne n’a généralement pas acquitté sa TVA européenne. Nous sommes donc face à un vrai sujet fiscal. Aujourd’hui, être un propriétaire français navigant sous pavillon UK - donc hors Union Européenne - cela ne marche pas. Les douanes vous réclameront le paiement de la TVA. Il faut donc être bien conseillé pour éviter toute mauvaise surprise. Et ne jamais oublier que nous parlons de bateaux de voyage : l’achat doit toujours être cohérent avec son programme de navigation.
Le Figaro Nautisme : De tous les bateaux sur lesquels vous avez navigués ou vendus, quel est celui qui vous a le plus marqué ?
Pierre Delhomeau : J’ai dû vendre environ 200 Outremer. Certains plusieurs fois, ... jusqu’à sept fois le même bateau ! Inutile de préciser que chacun de ces bateaux s’accompagne de belles histoires et d’innombrables anecdotes d’aventures.
Mon souvenir le plus marquant reste ma première Outremer Cup en 2006, le rassemblement de propriétaires qui se déroule sur 3 jours. Je naviguais ce jour-là sur un Outremer 42. Nous sommes loin de la plus grosse production du chantier, puisque seuls 9 exemplaires ont été construits. Lors de la première manche, nous avions 42 nœuds de vent. Ce jour-là, j’ai découvert qu’un voilier pouvait filer à une vitesse incroyable - vraiment très vite et en tout sécurité ! Et que l’on peut s’amuser ! c’était une révélation pour moi qui, je le rappelle, vient de l’univers du motonautisme.
J’ai également un vrai coup de cœur pour l’Outremer 5X : le premier plan VPLP pour le chantier. Un bateau dérivé de la compétition qui m’a marqué pour ses incroyables qualités. Le catamaran des superlatifs !
L’Outremer 55 ou 52 plus actuels avec leurs volumes insoupçonnés pour un Outremer jusque la ... mais avec toujours la même ADN, ... C’est un Outremer
On peut le dire je suis piqué, limite intégriste [rire !]
Le Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Pierre Delhomeau : En dehors des essais pour le chantier, ma dernière navigation marquante était l’année dernière. Nous avons rejoint un propriétaire d’Outremer 49 en Corse avec ma femme et ma fille et nous sommes remontés jusqu’à Toulon en une semaine. Un très bon moment de nav et de partage avec les dauphins, les rorquals, les fabuleux paysages de la Corse (je ne parle pas de la gastronomie !!) et Porquerolles avec la traversée de nuit ou tu es seul au monde. Magique !
La prochaine ... Je n’ai rien de prévu pour l’instant, c’est souvent aux aléas des propositions d’amis propriétaires, mais je ne connais pas encore la Sardaigne [rire !], alors pourquoi pas l’été prochain ?