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La valse des leaders continue. En tête lundi matin, Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec) a cédé le commandement à Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) dans l’après-midi.
Cette passation de pouvoir est différente des fois précédentes, car Jean-Pierre Dick a pris une option radicale en plongeant vers le sud pour aller chercher un flux d’ouest mieux établi que dans le nord, où est positionné Armel Le Cléac’h. Pour le moment, le skipper niçois qui progresse au ralenti (7,8 noeuds) concède du terrain en étant pointé à 46 milles du tableau arrière de Banque Populaire. Troisième sur une latitude identique à celle de Dick, François Gabart (Macif) ne compte plus que 42 milles d’avance sur Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat) qui revient à grand pas. Alex Thomson (Hugo Boss), imperturbable cinquième larron, trace toujours son sillage sans se poser de question, trop content après 23 jours de course d’être encore au contact de quatre bateaux plus véloces que le sien. Surtout que le marin britannique ne risque pas d’attraper un torticolis en surveillant ses arrières. Car Mike Golding (Gamesa), Jean Le Cam (SynerCiel) et Dominique Wavre (Wavre) sont encore beaucoup trop loin pour venir entamer sa sérénité. Petit à petit, ce trio sort du système météo qui accompagne les leaders. Il faudra que cela tamponne par devant pour espérer revenir avant la sortie de l’Océan Indien. Derrière eux, le vent semble revenir pour Javier Sanso (Acciona 100% EcoPowered), Arnaud Boissières (AKENA Vérandas) et Tanguy de Lamotte (Initiatives-cœur). Plus à l’ouest, Bertrand de Broc (Votre Nom autour du Monde avec EDM Projets) recueille les premiers dividendes de son option avec des vitesses de plus de quinze nœuds.
Record pour Le Cléac’h
Armel Le Cléac’h a détrôné Vincent Riou (24 jours 2 heures 18 minutes), précédent détenteur en 2004 du temps de référence établit entre les Sables d’Olonne et la pointe sud de l’Afrique, en couvrant la distance en 22 jours 23 heures et 48 minutes. Mais pour le quatuor de tête engagé dans une bagarre d’une intensité peu commune, cette performance risque de rester anecdotique, et ne prendra tout son sens qu’avec le recul.
Le risque des glaces...
La préoccupation des hommes de tête est double. D’une part, il s’agit de faire une vérification sérieuse d’un matériel fortement sollicité dans ces jours à hautes vitesses. De l’autre, il s’agit d’anticiper la meilleure trajectoire possible pour contourner un anticyclone qui semble vouloir prendre ses aises sur la porte de Crozet. Deux possibilités s’offrent à eux : tenter de couper au plus court pour rejoindre l’extrémité ouest de la porte et plonger ensuite dans le sud, ou tenter de contourner l’anticyclone par sa face méridionale pour rejoindre ensuite la pointe orientale de cette même porte. Dans le premier cas, le risque majeur est de se faire piéger dans les calmes. Dans le deuxième, les logiciels de routage préconisent une route très sud, qui ferait passer en plein milieu des champs d’icebergs repérés entre l’île Heard et l’archipel de Crozet. Personne n’est obligé d’être aussi radical, et la part de liberté revendiquée de certains navigateurs va trouver là un terrain d’expression privilégié. On pourra regretter les temps épiques où les marins pouvaient aller tutoyer les 60° Sud en se fiant à leur bonne étoile, mais compte tenu des moyens dont on dispose aujourd’hui, ce serait pour tout dire malsain d’envoyer des marins jouer dans ces terrains minés que sont les champs de glaces. Aujourd’hui, aucun instrument n’est capable de repérer un growler émergeant de quelques centimètres au dessus de la surface de l’eau et même à l’œil nu, certains d’entre eux peuvent facilement se confondre avec la crête des déferlantes. La glorieuse incertitude du sport a aussi ses limites.
LES VOIX DU LARGE
Jean Le Cam (SynerCiel) : « Quand on est à l’eau, on y est ! Mais avant d’y aller on se pose toutes les questions du monde. J’avais mis des vêtements de peau sous ma combinaison. Je n’ai même pas eu le temps de sentir le froid. Une fois qu’on est dans l’eau, on est dans l’eau. Il faut bien réfléchir à la manœuvre avant, il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de se mettre à l’eau. Si on m’avait dit qu’un jour j’aurais plongé dans les quarantièmes j’aurais dit : « T’es dingue ou quoi ? ». J’avais imaginé coucher le bateau mais le bateau, on ne le couche pas comme ça. Quand je voyais que je n’y arrivais pas… Je voulais sortir le bulbe de l’eau mais je n’y arrivais pas. J’ai essayé toutes les solutions avant de plonger. Donc à un moment, je me suis dit : « Soit tu plonges, soit tu te trimbales ce truc-là jusqu’à je ne sais pas quand ». Avoir un truc sur la quille comme ça, ce n’est pas humain. Une fois que c’était terminé, j’étais ému, content, mais content de chez content. C’est le bonheur le plus total. Tu passes du tout noir à tout blanc, il n’y a pas de gris. C’est du pur bonheur ».
Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) : « Tout va bien à bord de Banque Populaire. La mer est un petit peu agitée avec 3-4 mètres de creux. Le soleil est de retour après deux jours bien gris et humides. On avançait à 18-19 nœuds de moyenne. Là, c’est un peu plus calme donc on en profite pour faire un tour du bateau pour vérifier qu’il n’y a rien d’anormal sur le mât, sur les voiles, sur le pont. Au passage du front la mer était un petit peu chaotique et au moment de ranger les voiles d’avant je me suis cogné (ndlr : le nez) mais ce n’est pas très grave. Je sais que la régate virtuelle a eu quelques petits problèmes au début mais ça s’est résolu. J’espère que ça se passe bien en famille parce que je sais qu’il y a certains maris qui se réveillent la nuit pour faire leurs réglages ».
Jérémie Beyou (Maître CoQ) : « On est un peu en symétrie avec les copains en tête du Vendée : on surfe au portant devant un front, cap à l'est. Vent de 25 nœuds, mer de dos, pointes de vitesses à 26nds. On en profite un peu, mais on ne se permet que des petites pointes. C'est drôle comme quand je suis en course je me pose moins de questions. Là, en convoyage je suis tellement plus inquiet ! Donc oui, définitivement je préfèrerais faire cap à l'est, mais dans l'hémisphère sud en ce moment ...Anyway, on a profité des derniers jours pour déballer les petits plats prévus pour se remonter le moral : plats cuisinés Marie à base de volaille Maître CoQ, et petits plats maison (bœuf, foie gras) du restaurant l'Insolite à Douarnenez... un vrai régal ! Et puis ma petite femme et les copains m'avaient préparé un calendrier de l'Avent avec plein de petites surprises dedans. Comme un petit garçon curieux, j'ai évidemment ouvert toutes les dates du 1 ° au 24 décembre : super sympa, merci les amis ! Voilà, 35 noeuds prévus cette nuit, en plus des cargos et des premiers pêcheurs. La mer sera forte. Dès que je rentre à terre, je recommence à naviguer, faire de la prépa physique. Évidemment, c'est aussi le temps du débriefing technique de ce petit mois de mer avec le team Maître CoQ. Nous avons pas mal bossé sur les améliorations apportées au bateau ces jours-ci. Nous allons vite nous remettre à l'œuvre pour être encore plus compétitifs ».
Arnaud Boissières (Akéna Vérandas) : « Ça va super bien, j’ai retrouvé du vent depuis cette nuit. Il y a un peu de soleil et j’approche des mers du Sud donc ce n’est que du bonheur. Les conditions sont plus adaptées pour faire du bateau à voiles. Je ne sais pas si c’est annonciateur mais hier il y a des dauphins qui ont tourné autour du bateau pendant quelques heures. Hélène (ndlr : l’anticyclone de St-Hélène) m’a donné le temps de faire des vérifications dans le bateau. Je n’ai pas pu monter dans le mât à cause de la houle mais sinon j’ai tout vérifié. J’ai tenté un coup en passant un peu au nord, c’était un peu risqué. Du coup j’ai perdu deux fois plus. Maintenant c’est une autre course qui s’annonce avec Bonne-Espérance. C’est dur de voir les autres à 20 nœuds quand j’étais à 2-3 nœuds. Ça fait mal au c… comme on dit, mais c’est la voile. J’ai fait un choix en allant là-bas, j’assume. Psychologiquement c’est dur mais bon… Il n’y a pas que du bon tout le temps, il faut savoir tenter des coups. J’ai hâte du Grand Sud. J’ai vu plein d’oiseaux et j’entends les autres parler des albatros, ça me tarde vraiment ».
CLASSEMENT
Positions du 03/12 à 16 heures : 1.Armel Le Cléac´h (Banque Populaire) à 17 873 milles de la ligne d’arrivée; 2.Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec) à 46,7 milles du leader; 3.François Gabart (Macif) à 66 ,6 m; 4.Bernard Stamm (Cheminées-Poujoulat) à 108,4 m: 5.Alex Thomson (Hugo Boss) à 187,9 m; 6.Mike Golding (Gamesa) à 496,2 m; 7.Jean Le Cam (SynerCiel) à 525 m; 8.Dominique Wavre (Mirabaud) à 561,6 m; 9.Javier Sanso (Acciona 100% EcoPowered) à 1 001,9 m; 10.Arnaud Boissières (Akéna Vérandas) à 1 510,8 m; 11.Tanguy de Lamotte (Initiatives-coeur) à 1 719,9 m; 12.Bertrand De Broc (Votre Nom Autour du Monde avec EDM Projets) à 1 765 m; 13.Alessandro Di Benedetto (Team Plastique) à 2 161,2 m. Abandons : Marc Guillemot (Safran); Kito de Pavant (Groupe Bel); Samantha Davies (Savéol); Louis Burton (Bureau Vallée); Jérémie Beyou (Maître CoQ); Zbigniew Gutkowski (Energa); Vincent Riou (PRB).