
Figaro nautisme : Comment allez-vous et où êtes-vous confiné ?
Fabrice Amedeo : Tout va bien, je suis confiné en famille à la Trinité sur Mer depuis bientôt une semaine. C’est toute une organisation à trouver, comme tous les Français. Ma femme ayant beaucoup de choses à gérer avec son travail, je fais l’école à la maison le matin pour mes trois filles. L’après-midi je travaille sur mon projet, je fais du sport, et je recommence à travailler le soir après le dîner notamment sur un livre que je suis en train d’écrire à propos de mes expériences au large. Personne ne sort de la maison et du jardin. Je suis le seul à pouvoir aller faire des courses alimentaires, en prenant un maximum de précautions.
Votre préparation au Vendée Globe a dû s’arrêter net en début de semaine dernière ?
Oui c’est certain. Mon Imoca Newrest - Art et Fenêtres est en préparation au sein de l’écurie Gitana qui nous accueille et nous conseille. Lorsque le team Gitana a décidé d’arrêter le travail sur son trimaran Ultime lundi soir dernier, il était assez évident qu’il fallait leur emboiter le pas. La plupart des fournisseurs fermaient les uns après les autres, donc le chantier tournait déjà au ralenti et, en tant que projet sportif, nous avons un devoir d’exemplarité, nous ne pouvons prendre aucun risque sanitaire et il fallait arrêter le travail. Il faut espérer que cette situation ne dure pas trop longtemps. Les transats entre la France et les Etats-Unis en mai et juin (Ndlr : The Transat CIC et New York – Vendée) sont compromises et il va sans doute falloir penser une nouvelle course pour qualifier au Vendée Globe les concurrents qui ne le sont pas encore. Pour ma part, je suis inscrit et qualifié, je n’ai donc pas de pression particulière.
Avec 103 jours seul sur les océans lors de votre dernier Vendée Globe, vous êtes un peu un spécialiste du confinement ?
Oui et non. Il est vrai que j’ai vécu 103 jours dans un habitacle de quelques mètres carrés, humide, froid ou étouffant suivant les moments du parcours, bruyant et en perpétuel mouvement. J’ai donc l’expérience de ces épreuves limites humainement et psychologiquement et du coup je gère assez sereinement cette expérience de confinement en famille qui est assez confortable. Mais le confinement renvoie à une situation d’encombrement humain, chose que je n’ai pas connue sur le Vendée Globe, bien au contraire. Je conçois tout à fait que des concitoyens souffrent de se retrouver tous ensemble dans un petit logement.
Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui souffrent de cette situation de confinement ?
Il serait présomptueux de donner des conseils. Ce que je peux dire, c’est qu’il faut voir cette situation comme une tempête à passer. Et de par mon expérience, je suis bien placé pour savoir que même au cœur de la tempête, il y a toujours un motif d’optimisme, il y a toujours du positif dans le négatif. Dans le cas présent, je me dis que malgré cette situation terrible, des gens qui souffrent et des personnels soignants qui doivent tellement donner de leur personne, je peux me raccrocher au fait que j’ai beaucoup de chance de pouvoir passer autant de temps en famille à sept mois du grand départ pour un tour du monde. Sans cette crise, je ne me serais jamais penché d’aussi près sur les cahiers de mes trois filles.
L’autre élément essentiel que j’aimerais partager, c’est que cette crise est une occasion unique de faire des choses que nous ne faisons pas ou peu. Lors de son allocution, le Président de la République, a parlé des bienfaits de la lecture. C’est le moment d’un retour aux textes en effet ! Par ailleurs, la météo nous gâte plutôt ces derniers temps avec un bel anticyclone et un temps très ensoleillé. C’est l’occasion de regarder le ciel, de décélérer, de penser à plein de choses. Se réapproprier des moments oubliés de son passé, et pourquoi pas profiter de ce silence qui est partout, y compris en ville, pour renouer avec une forme de dialogue entre son monde intérieur et le monde extérieur, celui de la nature qui nous envoie un signe fort avec cette crise aiguë. Je suis sûr que dans la vie de tous, il y aura un avant et un après.