
Il reste encore trois semaines de compétition et trois étapes au cœur d’une mer Méditerranée toujours aussi capricieuse et imprévisible. Le suspense entrevu ces derniers jours devrait donc être toujours aussi prégnant dès le retour de la compétition mardi prochain. Avant, retour sur un début de course décidément très haletant.
Biotherm, une domination sans partage
Avant le départ à Kiel, Paul Meilhat n’avait jamais remporté d’étapes estampillées The Ocean Race. Certes, Biotherm avait frôlé la victoire lors du tour du monde en 2023 (2e au Cap, 2e à Gènes) mais l’équipage ne s’était jamais imposé.
Désormais, tout ceci est de l’histoire ancienne puisqu’il vient de remporter les deux premières étapes de The Ocean Race Europe. Surtout, l’équipage a accumulé le maximum de points possibles (25 points) en étant également en tête aux deux Scoring Gate et au Fly By à Matosinhos-Porto. « J’ai du mal à réaliser qu’on a terminé premiers à chaque fois, confiait Amélie Grassi cette nuit. C’est très fluide à bord entre nous, il y a une bonne énergie de travail, on sent qu’une amitié est en train de se créer ».
Biotherm est donc parvenu à capitaliser dans des allures (petit temps, medium, près) où ses adversaires semblent moins performants. Ils ont aussi progressé au portant dans le vent soutenu. Néanmoins, cela n’explique pas tout, comme l’assure Pascal Bidégorry (Paprec Akéa) particulièrement élogieux à leurs égards : « depuis le départ, Biotherm est un cran au-dessus. Ils naviguent bien, proprement, il n’y a rien à redire ! » « Ils n’ont pas de point faible », ajoute Franck Cammas (Holcim-PRB). Une question est désormais sur toutes les lèvres : vont-ils conserver les commandes de la course jusqu’à Boka Bay ? Affaire à suivre.
Le match des poursuivants
À Matosinhos-Porto comme à Carthagène, le suspense aura été à son comble jusqu’au bout. Au Portugal, un problème de configuration de voile chez Holcim-PRB, la nuit précédent l’arrêt, avait permis à Paprec Arkéa de prendre la deuxième place.
En Espagne, c’est l’inverse : Holcim-PRB a pris les devants en profitant d’une « petite erreur liée à un décalage » de son adversaire direct (d’après les mots de Yoann Richomme). « On est forcément déçu du résultat mais pas de notre étape », a confié le skipper à l’arrivée. En revanche, Holcim-PRB accumule des points après les premiers inscrits au Portugal. « Nous sommes dans le match, avec les meilleurs bateaux et équipages de la flotte », se réjouit Franck Cammas. Avec 11 points, l’équipe de Rosalin Kuiper talonne désormais Team Malizia (13 pts).
Dans cette seconde étape, l’équipage allemand - un temps retardé après s’être pris un filet de pêche - a été légèrement en retrait, ce qui ne présage bien entendu rien pour la suite de la compétition.
Holcim-PRB et Allagrande Mapei Racing, fortunes diverses
Ils ont réalisé deux exploits qui resteront dans les annales de la course au large. Une semaine après leur collision spectaculaire à Kiel, Holcim-PRB et Allagrande Mapei Racing avaient réussi à réparer et à être d’attaque pour la 2e étape à Portsmouth.
Des deux côtés, on assure, à l’instar d’Ambrogio Beccaria tout à l’heure qu’ils « ont mis l’incident complément de côté, on n’y a même pas pensé ». Le jury statuera ce dimanche pour livrer ses conclusions suite à ce terrible fait de course. Quoi qu’il en soit, les deux équipages ont densifié la flotte et renforcé le suspense par la même occasion. Et d’entrée de jeu, les deux étaient aux avant-postes, jusqu’au regroupement à Ouessant.
Si Holcim-PRB est parvenu à tenir la cadence des leaders, le bateau italien a ensuite été légèrement décroché le long du Portugal avant de faire l’élastique avec Team Malizia. L’équipage d’Ambrogio a pourtant gardé la foi jusqu’au bout au point de prendre la 4e place. « Au début, ce n’était pas facile, on était trop loin du match mais on a trouvé la motivation pour revenir sur Team Malizia », sourit Ambrogio Beccaria. L’Italien rappelle qu’il « débute en IMOCA » et qu’il « apprend tous les jours » aux côtés de deux grands experts de la Classe, Thomas Ruyant et Morgan Lagravière.
De son côté, Canada Ocean Racing - Be Water Positive, avec Pip Hare comme 'person in charge' sur l'étape, a été à la fête au début de course, prenant d’ailleurs furtivement les commandes à Ouessant. Ils devraient néanmoins terminer 6es de l’étape, eux qui pointent à la 5e place au classement. Enfin, Team Amaala a longtemps été retardé dans des zones sans vent dès la descente du Portugal. L’équipage d’Alan Roura était attendu dans la journée à Carthagène.
Des règles du jeu qui favorisent le suspense
Après avoir disputé l’étape la plus longue de cette édition, tous louent le parcours, son cran de difficulté et la beauté des paysages traversés. C’est Pascal Bidégorry qui en parle le mieux : « passer le cap de Saint-Vincent, Gibraltar, Cabo de Gata... Ce sont des moments magiques que l’on a pas l’habitude de vivre dans les autres courses ». Et le skipper expérimenté d’ajouter : « le format de la The Ocean Race Europe est génial avec ces étapes de quelques jours et les IMOCA s’y prêtent très bien finalement ! »
Un décor de rêve donc qui n’empêche pas un combat de chaque instant sur l’eau. « Il y a un très bon niveau et c’est toujours très intense », abonde Yoann Richomme. Le skipper de Paprec Arkéa rappelle qu’il « reste encore plus de la moitié des points à jouer, on en a distribué 25 et il en reste 35 ». Un aspect que tous les équipages ont bien en tête puisqu’ils déterminent tout. La bataille pour chaque Scoring Gate après les départs est ainsi saisissante. Il y en aura d’autres à Cabo de Palos dès mardi, à Monaco après le départ de Nice, à Santo Stefano après celui de Gênes. Ainsi, tout est remis en jeu à chaque étape et cela contribue à renforcer le suspense. Avec une interrogation : les autres équipages parviendront-ils à arrêter la moisson de points de Biotherm ?
La Méditerranée, décidément si imprévisible
Pour viser la victoire, les skippers vont continuer à apprivoiser les conditions en Méditerranée. Si la plupart y ont déjà navigué, tous pourraient faire sienne la maxime de Socrate : « ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». En cause ? Des conditions très changeantes et pas toujours visibles sur les fichiers météos. Ainsi, tous ont connu un sacré coup de frein, après le passage de Gibraltar, en passant de près de 30 nœuds à une absence quasi-totale de vent en une poignée de secondes.
Yoann Richomme a trouvé une expression pour ça : « le ventilateur s’est complètement éteint ». Pascal Bidégorry raconte : « on a passé 24 heures dans la pétole à être totalement arrêté, c’était impossible de faire quoi que ce soit ! » Franck Cammas l’a dit à sa manière hier : « c’est le jeu de la Méditerranée. Un jour on est attaquant, l’autre on est attaqué... C’est très ouvert et ça n’est jamais fini ! » Et ça tombe bien : la Méditerranée sera le terrain de jeu jusqu’à l’arrivée, de quoi garantir un sacré suspense !