Transat Café L'Or : six chavirés dans le ventre de la Manche

Par Le Figaro Nautisme
carte de la course Transat Café L\'Or

Dans la nuit du 25 au 26 octobre, alors que les Ocean Fifty ont pris le départ de la TRANSAT CAFÉ L'OR Le Havre Normandie, trois d'entre eux chavirent dans les eaux tourmentées de la Manche. Six marins piégés sous leurs coques retournées, l'eau jusqu'au menton, le souffle coupé par la peur. Récit et témoignage de cette nuit où la mer a pris leur rêve et laissé une cicatrice invisible.

Samedi 25 octobre, les Ocean Fifty quittent le Havre, en avance sur leurs camarades de ponton, pour éviter le gros du mauvais temps. Sous un soleil radieux, la foule les encourage pour leur épopée sur la Route du café. À la nuit tombée, le temps se gâte dans la Manche, le vent souffle en rafale jusqu’à 40 nœuds. Au large du cap de La Hague, les multicoques évoluent difficilement. En quelques heures, tout bascule : six marins traversent l’enfer. Trois chavirages successifs qui ébranlent la flotte.

LAZARE x HELLIO, "en quelques secondes, on avait de l'eau jusqu'au menton"

22h27. À bord de Lazare x Hellio, Erwan Le Draoulec et Tanguy Le Turquais sont à poste. Vigilants, les écoutes dans les mains, les yeux rivés sur l’eau, quand soudain "le bateau a enfourné très fortement", commence à raconter Tanguy. "On a tout choqué, on s'attendait à ce que le bateau retombe sur ses pattes mais ça n’a pas été le cas." Le trimaran continue de basculer, le mât touche l’eau, cède et le multicoque se retrouve à l’envers. "On est tombé sur le plafond du cockpit qui est devenu le plancher", poursuit Tanguy encore sous le choc. "Au contact de l'eau et de nos deux corps qui tombent dessus, il explose. Là, l'eau s’engouffre, en quelques secondes, on avait de l'eau jusqu'au menton." Les deux marins se retrouvent pris au piège.

"C’est traumatisant parce que concrètement, tu te retrouves dans l’eau, avec un bateau au-dessus de ta tête, dans le Raz Blanchard avec 6 nœuds de courant, 30 nœuds de vent et des bateaux partout autour." Si le skipper breton avoue ne pas avoir paniqué, la peur les gagne rapidement. L’eau monte, l’air vient à manquer et la trappe arrière est bloquée par des sacs. "Ça a duré cinq ou dix secondes peut-être, raconte Tanguy, mais elles m’ont paru des heures. Je me disais : on va se noyer là comme deux abrutis." Par miracle, la trappe s’ouvre, poussés par l’adrénaline, les deux skippers réussissent à grimper dans la coque centrale et les automatismes appris pendant les stages de survie reviennent instantanément. "Mayday, mayday, mayday, ici Lazare." Le message d’alerte est lancé et les balises déclenchées. Une demi-heure plus tard, l’hélicoptère de la Flottille 32F de la Marine nationale est sur place. "On était quand même un peu sur le fil de la vie et de la mort", confie Tanguy. Reste à être hélitreuillé, un autre moment pénible lorsqu’il voit son camarade Erwan s’élever au-dessus des vagues. "C’était très dur. Je me suis senti tellement seul à bord du bateau et Erwan avait l'impression d'abandonner son copain."

Si les marins sont encore amochés, physiquement et moralement, ils mesurent leur chance. Leur bateau, sévèrement endommagé, a pu être récupéré et ramené à Cherbourg en attendant d’être remorqué jusqu’en Bretagne quand la météo le permettra. Viendra ensuite le temps de la reconstruction, "des problèmes de vivants" comme ne cesse de se répéter Tanguy.

KOESIO, "le plongeur s'y est repris à deux fois pour aller chercher Erwan"

Toute la flotte a entendu le sauvetage de Tanguy et Erwan à la VHF. Chaque duo redouble de vigilance. 2h25, nouvelle alerte : Koesio vient à son tour de chavirer. "On a pris une belle survente, le pilote automatique n'a pas réussi à tenir. Avec Audrey, on a immédiatement choqué les voiles mais le bateau a continué sa trajectoire. Avec les vagues, on a été projetés sur le côté de la casquette tous les deux." Le bateau se couche à 90°, le mât cède et l’eau monte. "Ça s’est engouffré très rapidement", se rappelle Audrey encore très secouée. Erwan lui, se sentait "couler au fur et à mesure que le bateau s’enfonçait" avec "de l'eau jusqu'à la taille". Le duo se réfugie très vite à l'intérieur du bateau. Audrey ausculte la structure. "On a vérifié si on avait bien les deux flotteurs, les safrans, les foils, pour essayer de comprendre ce qui s’était passé". Mais le bateau continue de dériver dangereusement vers les îles anglo-normandes. Le CROSS Jobourg entre en contact avec l’équipage et les incite à évacuer. Second hélitreuillage par la Marine nationale. "On venait de vivre en direct le sauvetage d'Erwan et Tanguy à la VHF, relate Audrey, donc c'était un peu bizarre, mais on savait comment ça allait se passer. Sauf que le nôtre n'a pas été facile. Le plongeur s'y est repris à deux fois pour aller chercher Erwan. Et voir le bateau depuis l’hélico... On voit ça en photo dans les magazines, mais quand c'est ton bateau, ce n’est pas pareil."

Le multicoque, lui, continue de dériver avec la hantise qu’il se déchiquette sur les côtes. Pourtant, la mer décide de l’épargner et le dépose sur une plage de Guernesey. "Quand on voit la trace que fait le bateau à l'AIS, il évite des têtes de roche, on ne sait pas trop comment", s’étonne Erwan.

Dès le lendemain, l’équipe se rend sur place, ramasse tous les débris et fait les premières constatations. Après avoir été transféré à Saint Peter’s Port, le trimaran a été rapatrié à Saint-Malo par le remorqueur "L’Express". Il devrait prochainement rejoindre sa base, à La Rochelle.

INTER INVEST, "Il va falloir apprendre à naviguer en ayant chaviré."

Une première nuit de course maudite. Peu après 5 heures du matin, le sort s’acharne, c’est au tour de Matthieu Perrault et Jean-Baptiste Gellée de traverser la même épreuve. Le duo navigue au large de la pointe bretonne, dans un vent soutenu, mais sans nuage à l’horizon. "On avait checké qu'il n'y ait plus de nuages au radar, qu’on soit à l'abri de grains", se rappelle Matthieu. "Quand on s'est retourné, on a même vu les étoiles." En l'espace de quelques secondes, le vent tourne, le bateau aussi. Les voiles sont choquées mais là encore cela ne suffit pas. "On n'a pas senti le bateau s'appuyer sur le mât, tout a cassé d'un coup." Les deux marins déclenchent leurs balises et appellent la direction de course. "On avait Thibaut et Damien (Solidaire en Peloton) qui n'étaient pas très loin derrière nous. On avait très peur qu'ils nous passent dessus." Un relais s’opère entre la direction de course, le Cross et Merida, le bateau d’Adrien Hardy spécialement armé pour remorquer les voiliers en détresse. En une heure, les secours sont sur place, le bateau et les marins pris en charge. "On a pu passer la remorque nous-mêmes à l'avant du bateau avant qu'Adrien arrive", relate Matthieu. "Quand il est arrivé le remorquage a pu commencer très vite. Quand je suis hélitreuillé, je vois le bateau en dessous de moi. Il est attaché, amarré, prêt à partir."

Une fois à terre, la solidarité des gens de mer se met en place. Les équipes techniques de Wewise et d’Alexia Barrier (The Famous Project) leur viennent en aide en prêtant matériel et semi-rigides. Une chaîne de solidarité et une équipe soudée au sein de Inter Invest qui ont permis de sécuriser le bateau au Croisic.

Le choc et le rapatriement passés chez ces six marins, reste ce sentiment étrange qui mêle peur, appréhension et vide. "Bien sûr il y a la question de la prochaine course, quand il va falloir remonter à bord, sûrement en solitaire", avoue Matthieu. "Il va falloir apprendre à naviguer en ayant chaviré." Un facteur peur qu’ils partagent à deux et même à six, comme le résume Tanguy Le Turquais : "même si c'est un évènement qu'on n’a pas envie de vivre, ça reste quelque chose d'unique et qu’on partagera toute notre vie avec notre binôme."

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…
Cyrille Duchesne
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.