Vendée Globe : nuit agitée et rencontre fortuite à l'approche du point Nemo

Par Figaronautisme.com

Cette nuit, les marins du Vendée Globe ont offert une belle illustration de ce que signifie défier les limites de la raison. Entre manœuvres dans des conditions extrêmes, pointes de vitesse vertigineuses et descentes émotionnelles lorsque le vent fait défaut, chacun d’eux réinvente l’art de la persévérance. Certains ont même croisé un improbable compagnon de route : un Norvégien égaré au milieu de nulle part.

Vous est-il déjà arrivé de vous sentir parfaitement isolé, à ressentir un léger frisson inquiet quant à vos capacités à retrouver le monde civilisé ? Voilà de quoi vous aider à relativiser. Car les trois marins en tête du Vendée Globe sont en approche du point Nemo, cet absolument nulle part au milieu du Pacifique, où la Terre est si éloignée que le voisinage le plus proche est domicilié dans la Station Spatiale Internationale. Compliqué d’aller quémander un peu de sucre ou de récupérer un colis, vous en conviendrez.

Le vertige de cette immensité n’a pas l’air de déconcentrer le trio de tête, dont chacun aimerait d’ailleurs un peu plus de solitude encore. Après avoir longé la ZEA – Zone d’Exclusion Antarctique – comme des patrouilleurs de la « Night’s Watch », voilà qu’ils doivent désormais y multiplier les manœuvres pour rester dans un flux soutenu. Handicapé par la perte d’un de ses foils, Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e), est forcément un peu défavorisé dans l’opération, et voit se creuser, légèrement mais implacablement, l’écart avec le leader, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance).

La fièvre des empannages s’est aussi emparée du groupe de chasseurs derrière, dont les trajectoires forment des petites chaînes de montagnes au relief plus ou moins rapproché. L’enjeu est de rester sous la bulle formée par l’anticyclone, tout en bénéficiant du meilleur angle de vent pour progresser vers l’Est. Pour l’heure, c’est Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e) qui semble le meilleur alpiniste, maintenant plus de 20 nœuds de moyenne malgré ses manœuvres. Mais sa cordée, qui va jusqu’à l’épatante Justine Mettraux (Teamwork – Team Snef, 11e) reste bien accrochée.

« ça n’arrive normalement jamais »
Pour les quatre suivants, ce sont les nerfs qui doivent le rester, bien accrochés. Car Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 12e), Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 13e), Benjamin Dutreux (Guyot Environnement – Water Family, 14e) et Romain Attanasio (Fortinet – Best Western, 15e) se retrouvent au près sous la Nouvelle-Zélande. Alors qu’on leur avait promis de long surfs endiablés, remboursez !

La navigatrice britannique au grand cœur n’en garde pas moins sa légendaire bonne humeur, et nous racontait au petit matin : "On est dans un tronçon horrible, du vent de face avec quatre mètres de mer, ça n’arrive normalement jamais dans les Mers du Sud, mais on doit passer une dépression du mauvais côté ! Non seulement on a perdu plein de milles parce qu’on a loupé cette dépression il y a deux jours, mais en plus on a la double punition ! Le bateau il saute des vagues comme un kangourou, c’est l’enfer, je m’excuse s’il y a beaucoup de bruit ! "


Bien sûr qu’elle est déjà toute pardonnée Samantha Davies, encore aux prises avec quelques soucis d’énergie, c’est nous qui sommes désolés de ce coquin de sort ! La skipper d’Initiatives-Cœur, « en plein travail de positive attitude » pour « tourner la page et regarder vers l’avant », garde tout de même le moral, à défaut du physique ! Car à vivre dans un foiler depuis près de six semaines, ce qu’elle remarque c’est que ses jambes sont en train de disparaître : " On ne peut plus trop se déplacer, on passe beaucoup de temps assis ou allongé parce qu’il n’y a pas trop le choix, et je sens que j’ai moins de muscles dans les jambes, forcément ! C’est vraiment très différent par rapport à mes autres Vendée, il faudra presque que je fasse comme une rééducation physique au retour, ça va être difficile ! J’ai des petits patchs d’électrostimulation à bord, je pense que je vais en faire sur le retour dans l’Atlantique, pour remuscler mes jambes !"

Nautisme Article
© Guirec Soudée #VG2024


« Ils sont fous ces Norvégiens »
Non mais qu’allaient-ils faire dans cette galère… Mais en parlant de folie, là aussi il y a de quoi relativiser cette nuit. Car Antoine Cornic (Human Immobilier, 32e), encore aux prises avec l’Océan Indien, nous a fait part de sa drôle d’expérience, tout droit tirée du sketch des Robins des Bois « L’instant Norvégien ». " J’ai croisé un bateau en mer : 11 mètres de long, Norvégien, seul, et qui fait un tour du monde juste pour le plaisir ! Bah écoute je crois qu’on a trouvé plus fou que nous quoi, il n’y a pas que les albatros dans le Sud, il y a aussi des Norvégiens ! On a discuté 5 minutes à la VHF là, il n’a pas vu un bateau depuis 110 jours, donc il était content de parler le mec ! Ils sont fous ces Norvégiens, ils sont fous ! Sinon tout va bien à bord, ça continue !"
Et soudain, l’esprit vagabonde : combien sont-ils ces Norvégiens errants, arpenteurs d’océans ? Et si nous étions tous le Norvégien de quelqu’un ? Allez, il y a de quoi perdre la tête, mais pas autant que la balise de Kojiro Shiraishi (DMG Mori, 30e), qui n’en fait cette nuit qu’à la sienne. Ne vous inquiétez pas, chers cartographeurs (quoi, on dit bien des lecteurs ?) si la trace du Japonais vous paraît surprenante, ce n’est qu’une facétie de la technologie, qui devrait rapidement trouver une solution.

Et pour retrouver le cap, quoi de mieux que d’en franchir un ! C’est ce que s’apprête à faire dans les prochaines heures, Guirec Soudée (Freelance.com, 29e), qui voit arriver Leeuwin avec soulagement, et une pointe d’émotion. Et pour cause : " C’est rigolo parce que le cap Leeuwin pour le coup j’y étais vraiment en réel, quand j’avais 18 ans, en 2010 ! J’étais parti en Australie sans sous, j’avais fait à peu près 2000 bornes en vélo seul, je dormais sur les plages. C’est rigolo de se dire que 14 ans après, je le passe en IMOCA sur le Vendée Globe, ça fait plaisir ! "
D’autant qu’avec toutes ses galères qui l’ont obligé à monter au mât dans le dévent des Kerguelen puis l’ont propulsé dans le plus gros des dépressions australes, le marin breton a eu peur de ne jamais y arriver, et lui aussi a appris à sacrément relativiser... " Le vent s’est quand même calmé… enfin j’ai toujours 30-35 nœuds, mais j’ai surtout moins de mer, j’ai plus que 4 m 50 de creux ! Encore hier j’avais 6-7 mètres, et c’est compliqué de manœuvrer dans ces conditions, c’est dangereux. En retrouvant des conditions un peu mieux, je sens que j’ai plus la patate. Bon, j’ai toujours des petits soucis de voile mais ça me permet de réaccélérer gentiment et assez sereinement, donc c’est plutôt cool ! "
Prochain objectif, « recoller au paquet gentiment, mais en minimisant les risques aussi parce qu’il reste quelques milles au compteur », même si la mi-parcours se rapproche pour lui aussi. Allez, haut les cœurs, mais ne le dites pas trop fort au Norvégien, il serait capable de faire demi-tour...
Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine dans notre dossier spécial Vendée Globe.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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