De la glace dans les voiles : les marins du Vendée Globe sur leurs gardes

Par Figaronautisme.com

Une poignée d’heures en 2025, et déjà une surprise de taille. Pour la première fois depuis 2008, trois de nos marins ont pu immortaliser leur rencontre avec un iceberg, en plein milieu du Pacifique. Un moment unique, autant par le stress qu’il engendre que par la fascination qu’il suscite.


Ça jette un sacré froid ! Depuis plusieurs jours, cela bruissait du côté de la direction de course, et l’alerte avait été envoyée à tous les marins qui évoluent actuellement le long de la zone des glaces, en plein Pacifique (et ils sont un bon petit paquet !). Deux icebergs avaient été repérés par satellite hors de la Zone d’Exclusion Antarctique (ZEA), et leur position pouvait se rapprocher de celle de nos concurrents du Vendée Globe. Prudence et vigilance étaient donc de mise en ce premier jour de 2025 pour éviter ces mastodontes de glace, qui dérivent et se brisent en « growlers » plus difficiles à repérer, et qu’il ne fait pas bon fréquenter de trop près…

« Je vous avoue que ça m’a coupé les pattes ! ».
Garder ses distances, c’était bien l’intention de Sébastien Marsset (Foussier, 22e), qui a pourtant été le premier à sonner le clairon. Prévenu d’une possibilité d’iceberg dont la dérive calculée le plaçait dans son Nord, le skipper nantais racontait dans la soirée :
«Mon alarme de radar qui s'est mise en route : j’avais un eu écho quatre milles devant. Je passe la tête dehors, et tout de suite je vois l’iceberg. Là c’est branle-bas le combat parce que je suis à 17 nœuds sous petit gennak ! Donc il faut rouler pour éviter l’iceberg. J’abats, ce qui temporairement me fait encore plus le viser, je roule, et je me retrouve à 2,5 milles de l’iceberg… J’essaie de lofer mais sans trop accélérer, je finis par prendre un deuxième ris pour vraiment ralentir, et j’attends longtemps ! Parce que franchement, ça me coupe les pattes, j’allais droit dessus ! Cet iceberg avait donc finalement pas du tout dérivé vers le Nord, mais plein Est, donc j’étais à la même latitude que lui, et je me suis retrouvé… face à lui !» Sébastien Marsset, foussier.

Encore secoué par cette vision du bloc immaculé d’une centaine de mètres de long, véritable cargo de glace bleutée, le skipper nantais était, bien logiquement, partagé entre fascination et stress :
«Je vous avoue que je n’avais déjà pas beaucoup dormi la nuit dernière, mais là… ça tend ! C’est crispant parce qu’on scrute tout, j’ai toutes mes alarmes, j’ai passé je sais pas combien de temps dehors à regarder la moindre écume, en croyant que c’était un bout de glaçon ! Faut souffler un coup, tout va bien, il y en a un autre plus dans l’Est, mais je pense que je vais mettre plus de distance avec sa position théorique. Mon idée c’est quand même de décoller de la zone des glaces, je vous avoue que ça m’a coupé les pattes ! L’année 2025 commence de manière très intense, et j’ai vu un iceberg pour la première fois de ma vie !» Sébastien Marsset, foussier.

« Je rappelle que ma coque fait 3,6mm d’épaisseur »
Quelques heures plus tard, mêmes sensations de vertige pour Eric Bellion (STAND AS ONE – Altavia, 23e), qui a filmé le monstre glacé par 54° sud et s’en est senti bien petit :
«J’admire nos pionniers, sur les premiers tours du monde ils allaient là-dedans, il fallait une bonne dose de courage et surement un peu d’inconscience aussi, respect à eux ! Déjà au quotidien c’est musclé alors si tu ajoutes le piment de la glace… pour le 1e janvier, petit cadeau de l’Océan Pacifique ! Ça fait peur. On ne fait pas les malins le bateau et moi ! Je rappelle que ma coque fait 3,6mm d’épaisseur, je ne peux pas me permettre de taper ça. C’est beau les icebergs avec des bateaux d’expédition équipés de coques en acier mais pas avec nos bateaux de course en carbone» Eric Bellion, Stand as one, Altavia.

« J’ai dit hophophophop »
Un peu plus au Nord, Guirec Soudée (Freelance.com, 2e), le corps encore bien meurtri par un choc qui, voilà dix jours, l’avait fait voler dans son IMOCA comme une poupée de chiffon, nous racontait aussi ses longues heures de veille avec la trouille au ventre. Car tous le savent, au moindre choc, les calottes seraient cuites pour la suite de leurs aventures, ce qui justifie de réduire la voilure :
«J’ai ralenti la cadence, je faisais 18-20 nœuds avec des pointes au-dessus, donc j’ai dit hophophophop. Je me suis déjà pris de la glace à 4-5 nœuds avec un bateau en acier, déjà c’était pas très agréable, alors avec un bateau en carbone je préfère pas y penser ! Ca met un peu de piment à la course, mais c’est un peu stressant quand même, je suis sur mon radar, toutes les 20 minutes je vais à l’extérieur, on voit bien à l’horizon donc ça c’est cool.» Guirec Soudée, Freelance.com.

Effectivement, si on veut voir le verre à moitié plein (de glaçons), les skippers bénéficiaient en effet toute la journée d’une belle visibilité, ce qui, dans le royaume du gris, est loin d’être acquis ! Mais la nuit, justement on le sait, tous les icebergs le sont aussi, gris, et c’est donc un peu inquiet que le dernier des mohicans du paquet, le néo-zélandais Conrad Colman (MS Amlin, 29e) voyait le soleil commencer à se coucher...

Juste avant son crépuscule, une gigantesque silhouette s’est à nouveau détachée sur son horizon, permettant même au Kiwi de lancer son drone pour filmer la merveille de la nature de plus près… Un deuxième iceberg dont la présence a évidemment été rapportée à la direction de course, qui va continuer à tenter de suivre sa dérive pour les prochains à passer dans le coin…

Décidément, 2025 promet de réserver de belles surprises, si elle est à l’image de ce premier jour de course sur le Vendée Globe, alors que Fabrice Amedeo (Nexans – Wewise, 34e) nous envoyait, lui, de rares photos d’une aurore australe ! N’en jetez plus côté grand spectacle, on est rassasié !

« Aucune de ces options ne m'attire beaucoup »
Enfin pas tout à fait, car on en oublierait presque qu’il y a toujours une course qui se joue… Et qui ne baisse pas en intensité ! Côté tête, ce fut une nouvelle nuit pénible au ralenti, dont Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) sort à nouveau en tête, mais de peu… Yoann Richomme (PAPREC – ARKÉA, 2e) a en effet bien réduit l’écart à nouveau, en attendant de toucher, tous deux l’espèrent plus que jamais, les alizés dans la journée.

Le long de l’Argentine, la remontée de l’Atlantique Sud est toujours aussi complexe pour le groupe mené par Paul Meilhat (Biotherm, 5e). Joint dans la nuit, Sam Goodchild (VULNERABLE, 8e), nous racontait ce passage complexe face au vent, qui laisse peu de place au repos :
«La vie à bord n’est pas simple, et la stratégie non plus ! On n’a pas de vision d’une option simple, entre aller à l’Est et avoir du vent très fort ou à l’Ouest et pas de vent, ou juste quelques nuages d’orages ! Aucune de ces options ne m'attire beaucoup mais ce sont les seules qui existent, et il faut donc essayer de trouver la meilleure !» Sam Goodchild, Vulnerable.

« Ca aura été un chemin de croix »
Pas simple, c’est aussi le constat de Romain Attanasio (Fortinet-Best Western, 14e), qui commence à tirer la langue à moins de 36 heures de son passage du Cap Horn. Si ce dernier s’est fait tout doux pour accueillir les précédents, dont Benjamin Dutreux (Guyot Environnement – Water Family), qui en a profité pour chiper la 11e place à Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 12e), c’est une tout autre sauce qui attend le marin originaire de Briançon.
«Je suis assis devant mon siège devant mon ardoise qui dit Cap Leeuwin 14 décembre, et je me disais justement que ça aura été un chemin de croix pour arriver jusqu’ici ! Je veux pas me porter la poisse, j’ai pas encore passé le Cap Horn, mais c’est vrai que… l’Indien a été dur mais le Pacifique presque pire en fait ! Les deux précédents Vendée Globe, on m’avait dit le Pacifique c’est super tu verras, j’avais pas trouvé, mais là ça a été vraiment pire ! Du délire ! On est encore dans la tempête là, avec une mer horrible, et je crois qu’on a encore 40 nœuds en arrivant au Cap Horn dans 36 heures ! C’est pas dingo» Romain Attanasio, Fortinet - Best Western.

Si le skipper de Fortinet-Best Western essaie de contenir le retour de plus en plus pressant de Damien Seguin (Groupe Apicil, 15e), c’est surtout celui de Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-Lux, 16e), désormais à 300 milles de son tableau arrière, qui l’agace fortement :
«Damien, j’essaie de le tenir mais il est rapide et c’est pas simple ! Je pense qu’il va plus vite que moi avec ses foils dernière génération. Mais celui que j’ai vraiment pas envie de voir revenir c’est Jean Le Cam, c’est fou lui il fait une route tout droit, avec du vent de Nord, alors que nous on tire des bords, et le groupe derrière lui aussi. Lui il est vraiment entre les deux, c’est un peu rageant !» Romain Attanasio, Fortinet - Best Western.

C’est ainsi à la cantine de l’océan : on ne sait jamais comment on va être servi, et dans quelle proportion… Une seule certitude : il ne faudra pas en garder l’estomac noué, sous peine de rester sur sa faim !

Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine dans notre dossier spécial Vendée Globe et suivez les skippers en direct grâce à la cartographie.

Diaporama
Photo envoyée depuis le bateau MS Amlin lors de la course à la voile du Vendée Globe le 02 décembre 2024 Photo du skipper Conrad Colman / Vendée Globe
Photo envoyée depuis le bateau FOUSSIER lors de la course à la voile du Vendée Globe le 01 janvier 2024. Photo du skipper Sébastien Marsset /Vendée Globe
Photo envoyée depuis le bateau GUYOT Environnement - Water Family lors de la course à la voile du Vendée Globe le 01 janvier 2024, Clarisse Crémer (FRA), skipper de L'Occitane en Provence, en vue Photo du skipper Benjamin Dutreux / Vendée Globe
Photo envoyée depuis le bateau HUMAN Immobilier lors de la course à la voile du Vendée Globe le 01 janvier 2024 Photo du skipper Antoine Cornic
Aurora australis. Photo envoyée depuis le bateau Nexans - Wewise lors de la course à la voile du Vendée Globe le 02 janvier 2024 Photo du skipper Fabrice Amedeo / Vendée Globe
L'équipe
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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