Pour les premiers, il va falloir commencer à compter en « dernier » : dernière semaine complète, dernier weekend, derniers levers de soleils… Bref, le dénouement est proche et il est tentant de tout surinterpréter, chaque fait et geste des deux leaders pour savoir ce qui fera la différence à l’arrivée. Alors, quand on s’aperçoit que Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA) n’est plus qu’à 155,9 milles de Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) alors qu’il comptait 190,7 milles à 15 heures hier, c’est le choc. Mais attention au « breaking news » intempestif !
© Arnaud Boissières / Vendée Globe
À la direction de course, on préfère jouer la prudence. « Yoann a simplement un peu plus d’air en étant légèrement plus à l'Ouest, précise Fabien Delahaye. Ça se joue au nœud près sur une demi-heure, une heure et c’est chacun leur tour. Ça fait un peu le yo-yo entre les deux ». Les deux marins progressent dans 22 à 25 nœuds de moyenne en bénéficiant des vents du front chaud liés à une perturbation qui les rattrape. Autre incongruité relevée par la direction de course : depuis leur virement au large de Rio, ils sont en tribord amure et le resteront jusqu’à atteindre Penmarch, à la pointe Bretonne en début de semaine ! Les deux hommes sont toujours attendus mardi aux Sables d’Olonne.
En Atlantique Sud, un homme est particulièrement à la fête, c’est Jean Le Cam. Moins d’une semaine après être revenu sur Romain Attanasio (Fortinet Best Western, actuel 15e) et Damien Seguin (Groupe Apicil, 17e), le « Roi Jean » est en train de se faire la malle. « Alors que l’anticyclone se décale à l’Est et ralentit ses concurrents directs, il a réussi à trouver le bon courant et à se faufiler dans un trou de souris », décrypte Claire Renou à la direction de course.Vis ma vie dans le Pacifique Dans le lointain Sud-Ouest, au-delà de l’Atlantique Sud d'où s’extirpent nombre de skippers et du cap Horn qui fait tant rêver, ils restent six skippers progressant patiemment dans l’océan Pacifique. Pour eux, pas de tee-shirt, de crème solaire et de coups de soleil sur le pont. Là-bas, c’est l’hiver, le vrai, les degrés qui manquent et le corps qu’on protège derrière des couches de vêtements. Denis Van Weynbergh (D’Ieteren Group, 35e), la lanterne rouge, en sourit :«C’est sûr qu’on aimerait être un peu plus loin et un peu plus au chaud ! Là, il fait vraiment froid. Pour la première fois depuis le départ, j’ai dormi la nuit dernière avec un bonnet… Parfois le temps est un peu long mais c’est comme ça. L’objectif, c’est le point Nemo, le cap Horn… C’est motivant…» Denis Van Weynbergh, D'IETEREN GROUP.
© Denis Van Weynbergh / Vendée Globe
Côté température, Fabrice Amedeo (Nexans – Wewize, 34e), classe son chauffage dans les « vrais petits plaisirs » « Avec mes bottes et mon ciré, ça me change la vie ! » Tous savent que le vainqueur du Vendée Globe sera bientôt connu. « C’est fou ce qu’ils font, chapeau bas ! Ils réalisent une course incroyable, c’est une édition de folie, s’enthousiasme Manuel Cousin (Coup de Pouce, 33e). C’est fort de tenir les moyennes qu’ils ont tenu ! » Denis aussi est dithyrambique sur « le dénouement incroyable », « le niveau de performance énorme », « le record qui va être explosé » (de 74 jours ndrl). Et puis il s’offre un trait d’humour : « ça me motive parce que dès qu’ils seront arrivés, je vais enfin pouvoir réduire mon écart avec le premier ! » Fabrice reconnaît que « ça fait longtemps qu’il a décroché dans le suivi des premiers ». Il ajoute :
«Ils ont cumulé trois éléments : skippers exceptionnels, bateaux exceptionnels et météo exceptionnelle. C’est comme si quelqu’un court le marathon en 4 heures allait se comparer avec ceux qui le courent en 2 h 15. Moi je fais ma course, à mon rythme, je vais faire mon Vendée Globe en une centaine de jours en faisant tout pour aller au bout.» Fabrice Amedeo, Nexans-Wewise.
« À la fois très monotone et très rythmée » En revanche, ils ont un peu plus de regrets de ne pas batailler avec ceux qui sont devant, à l’instar de Violette Dorange (Devenir, 29e) et Éric Bellion (Stand As One – Altavia, 27e). « Sans mes soucis, j’aurais dû être dans ce groupe-là. Mais ça fait partie du jeu », confie d’ailleurs Manuel Cousin. En attendant, ils savent que la route est encore longue. Manu assure que « ce n’est pas les 60 jours qui pèsent mais la dizaine qui nous séparent de l’Atlantique Sud » Fabrice Amedeo a une formule bien à lui pour parler de l’appréciation du temps :
«D’un côté j’ai l’impression que je suis parti il y a une éternité et en même temps les journées passent à une vitesse hallucinante. C’est à la fois très monotone et très rythmé. Et la perception du temps est toute chamboulée.» Fabrice Amedeo, Nexans-Wewise.Quoi qu’il en soit, Denis progresse au près non loin de la ZEA et espère rapidement allonger la foulée. Le duo Cousin-Amedeo est à près de 300 milles plus à l’Est et vont bientôt atteindre le point Nemo (le point le plus éloigné de toute terre). Les deux inséparables, à l’arrière d’un anticyclone, espèrent continuer au portant avant de bénéficier de la traîne d’une dépression. En attendant, ils doivent renforcer leur vigilance à cause de la présence éventuelle d’icebergs. Quatre icebergs dont un de 400 mètres ont été repérés dans la zone par la direction de course qui est particulièrement attentive sur ce sujet. Par ailleurs, un peu avant Denis, Fabrice et Manu devraient atteindre le cap Horn dans neuf jours. À ce moment-là, trois de leurs compagnons du Vendée Globe seront déjà à terre, à plus de 7 000 milles de là. Une même aventure et une certaine idée du vertige…
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