Interview Francis Le Goff : « La Transat Paprec est exigeante, formatrice et pleine de promesses »

Figaro Nautisme : Pouvez-vous vous présenter, et expliquer en quoi consiste votre rôle sur la Transat Paprec ?Francis Le Goff : "Je suis le directeur de course de la Transat Paprec. C’est un poste que j’occupe avec mon adjoint Yann Chateau, car une direction de course sur un événement comme celui-là, ça ne se gère pas seul. On travaille ensemble en continu, de jour comme de nuit, pour assurer un suivi complet. Notre mission commence bien avant le départ : préparer la course, vérifier que tous les concurrents partent dans de bonnes conditions, non seulement pour performer sportivement, mais aussi pour garantir un haut niveau de sécurité, parce qu’on parle d’une transat en solitaire doublée.Avant de lever le moindre pavillon, tous les bateaux passent au crible : contrôles des radeaux de survie, des systèmes de communication, des balises, tout est vérifié dans le détail. On compile tout dans un gros fichier de sécurité qu’on peut activer à tout moment en cas de pépin. Et une fois la course lancée, notre rôle, c’est de suivre. On travaille avec METEO CONSULT, on regarde comment la météo va évoluer pour les premiers jours, puis on suit les bateaux un à un grâce au logiciel Adrena. On reçoit leur position toutes les quinze minutes, avec des alertes si un bateau passe en dessous de sa cible de vitesse, ce qui peut être un signe à creuser. Et puis, au bout, il faut aussi les accueillir à Saint-Barth : gérer les arrivées, assurer une place au port… c’est un travail de fond du début à la fin."
Figaro Nautisme : Dans cette dernière ligne droite avant le départ, quels sont les points critique que vous surveillez ? Francis Le Goff : "Lundi matin, nous avons reçu les premiers fichiers météo pour préparer le prologue qui a eu lieu ce mardi. Jusqu’à la semaine dernière nous avons eu un temps superbe en Bretagne. Mais les prévisions annonçaient l’arrivée d’un système perturbé venant de l’ouest, susceptible de toucher la pointe bretonne, Concarneau inclus, au moment même où les bateaux devaient sortir.C’était notre première vigilance : s’assurer que le prologue puisse avoir lieu sans prendre de risques, car à cinq jours du grand départ, on ne peut pas se permettre d’abîmer un jeu de voiles ou d’avoir un incident en mer. Le prologue reste un moment important pour les équipages, pour s’aérer, pour valider quelques derniers points techniques, mais la sécurité reste prioritaire.Au-delà de ce rendez-vous de mardi, on surveillait également la tendance pour la fin de semaine, et surtout pour le départ, prévu dimanche à 13h02. Le golfe de Gascogne, à cette période, peut réserver des surprises. On a donc travaillé en étroite collaboration avec Cyrille Duchesne, de METEO CONSULT, pour anticiper les conditions à plus long terme, notamment les systèmes d’ondes ou de creux qui pouvaient rendre les premiers jours de course plus engagés que prévu.Et puis en parallèle, il y avait tout le reste : s’assurer que tous les bateaux aient leur place au port, gérer les installations du village, les animations, l’arrivée progressive des équipages et de leurs partenaires… On a aussi un plateau très hétérogène cette année, entre des équipes très expérimentées et d’autres plus jeunes ou en découverte. Les questions sont nombreuses, variées, et il faut y répondre dans un rythme très dense."
Figaro Nautisme : Quels retours avez-vous reçus des équipages mixtes depuis la première édition ?Francis Le Goff : "C’était un pari, clairement. Quand Oc Sport et Paprec ont proposé cette transat 100 % mixte, ce n’était pas une évidence. On s’est demandé s’il y aurait assez de femmes engagées dans la course au large pour constituer un plateau cohérent, si on n’allait pas créer une contrainte dans un sport qui, certes, est historiquement masculin mais où beaucoup disent que la voile est "naturellement mixte".Mais ce pari, il a été osé, et surtout, il a été gagné. La première édition a rassemblé 11 bateaux. Cette année, on est presque au double, avec 19 duos au départ, et des équipages internationaux. Dans certains pays, cette dynamique mixte est même plus avancée qu’en France. C’est prometteur. Ce qu’on a vu sur l’eau, c’est que la mixité apporte des complémentarités évidentes à bord. Et en termes de niveau, ça a été très élevé. Peut-être même un cran au-dessus de ce qu’on imaginait.La Transat Paprec s’installe, elle prend sa place. C’est bien qu’il y ait des gens et des partenaires qui osent. C’est comme ça qu’on fait avancer les choses."
Figaro Nautisme : Vous avez un regard précis sur les binômes : qu’est-ce qui, selon vous, fait un bon duo pour une transat en Figaro ?Francis Le Goff : "On pourrait penser qu’il faut un spécialiste de chaque domaine, mais moi je pense le contraire, ce n’est pas forcément comme ça que ça fonctionne le mieux. Il ne doit pas y avoir de trop grandes différences.En réalité, je pense que plus les deux marins sont proches dans leur niveau, dans leur compréhension globale de la course, mieux ça marche. Il faut que chacun sache gérer toutes les situations : le Figaro Bénéteau, la navigation au large, la vie à bord. Si l’un a des lacunes dans un domaine, même s’il est très fort ailleurs, ça crée un déséquilibre qui peut peser.Et puis, il y a l’aspect humain. Ce sont des bateaux de dix mètres, avec peu de confort. On part pour 18 jours côte à côte, parfois dans des conditions très dures. Il faut pouvoir se parler, se taire, se comprendre, se supporter. Rien que ça, c’est déjà une aventure. Les duos doivent développer une complémentarité, et être en symbiose."
Figaro Nautisme : Quels types d’incidents sont les plus fréquents sur une transat comme celle-ci, et comment les anticipez-vous ?Francis Le Goff : "Sur ce type de course, on voit souvent de petits soucis médicaux liés aux conditions de vie à bord : des irritations, des boutons infectés, surtout à cause des cirés que les skippers portent en permanence pendant la première semaine, et parfois même dans les alizés si la mer reste active. Ce sont des détails, mais qui peuvent devenir très gênants pour la performance. C’est là aussi que la connaissance de soi entre en jeu : savoir si on a la peau sensible, anticiper, surveiller. On a un médecin référent, qui sera là au briefing, prêt à répondre aux marins et qui sera aussi disponible pendant toute la durée de la course.On a aussi des petits accidents : coups au tibia, chocs dans le cockpit, notamment lors des navigations au près, quand le bateau tape. Ce sont des désagréments qui peuvent vraiment affecter la performance. Et bien sûr, on reste attentifs aux pannes plus lourdes : perte d’un étai, souci de foils, démâtages — même si ce genre d’incident est rare sur le Figaro 3. Sur la dernière édition, un skipper a perdu son étai mais a réussi à tenir son mât avec les drisses. Il faut être prêt à tout."
Figaro Nautisme : METEO CONSULT est votre partenaire météo, combien de bulletin météo recevez-vous ? Francis Le Goff : "Avant le départ, on reçoit un bulletin météo quotidien de Cyrille Duchesne. C’est notre base de travail, cela nous permet d’ajuster notre analyse avant le départ, de suivre les évolutions, notamment dans les zones sensibles. Une fois les bateaux en mer, on ne leur transmet plus rien — sauf si une situation météo exceptionnelle se présente. Dans ce cas, on peut activer une cellule de crise avec Cyrille et les experts de METEO CONSULT pour affiner les prévisions, voire transmettre un bulletin spécifique ou imposer un point de passage obligatoire pour éviter des zones dangereuses. Mais cela reste exceptionnel : les skippers sont équipés d’une antenne Starlink, ils récupèrent leurs fichiers météo et font leur propre analyse."
Figaro Nautisme : Les routages sont interdits. Où s’arrête votre rôle en matière de météo une fois la course lancée ?Francis Le Goff : "Très simplement : on ne leur transmet plus aucunes informations à partir du passage de la ligne de départ. C’est à eux de gérer. Ils ont les moyens techniques à bord pour le faire, et c’est aussi ça, l’esprit de la course au large. Ils sont responsables de leur trajectoire, de leur stratégie. On n’intervient que pour la sécurité."
Figaro Nautisme : De nombreux grands noms de la course au large sont passés par la Transat Paprec. Est-ce une course qui peut faire émerger les talents ?Francis Le Goff : "Oui, sans aucun doute. C’est une transat qui fait partie du parcours.De nombreux marins arrivent sur la Transat Paprec après avoir participer à la Solitaire du Figaro. Mais la Solitaire, le parcours est bien plus côtier, même quand on traverse la Manche ou qu’on descend dans le golfe de Gascogne, on reste proche des côtes, et on retrouve vite la terre.La Transat Paprec, c’est autre chose. Une fois La Palma dépassée, c’est dix jours en pleine mer. Plus de côtes à l’horizon, que l’océan. C’est là que les marins se forgent : dans la gestion du long, dans la solitude à deux, dans les moments de creux, dans l’exigence permanente. Et comme les bateaux sont strictement identiques, c’est leur manière de naviguer, d’exploiter la météo, de vivre ensemble qui fera la différence. C’est une étape essentielle dans la construction d’un skipper. C’est une épreuve très formatrice, et clairement, une passerelle vers les plus grandes courses au large."Suivez l'actualité de la Transat Paprec dans notre dossier spécial.