L'île de Ré, le pays de l'or blanc
Sur la côte nord de l’île de Ré, les marais salants s’étendent comme un damier miroitant entre mer et ciel. Entre La Couarde, Ars-en-Ré, Loix et Les Portes, ce paysage à la géométrie parfaite est l’un des plus emblématiques du littoral atlantique. Depuis plus de mille ans, les sauniers y récoltent le sel marin, ce précieux « or blanc » dont la réputation dépasse aujourd’hui les frontières de la Charente-Maritime.
Dès les premiers beaux jours, les bassins se remplissent d’eau de mer, les reflets varient du vert au rose selon la salinité, et les visiteurs affluent à pied ou à vélo pour observer ce ballet silencieux entre l’homme et la nature. Au coucher du soleil, les marais se parent de nuances argentées et lilas, offrant l’un des spectacles les plus photogéniques de l’île.
Un savoir-faire préservé de justesse
Si la saliculture rétaise fait aujourd’hui partie intégrante du patrimoine local, elle a pourtant bien failli disparaître. Au XIXe siècle, l’île comptait près de 1 500 hectares de marais exploités ; un siècle plus tard, l’essor de l’industrie et le recul du travail manuel menaçaient ce métier ancestral. C’est à partir des années 1990 que la saliculture renaît véritablement, grâce à un vaste programme de réhabilitation porté par la Communauté de Communes de l’île de Ré et la Coopérative des Sauniers. Ces initiatives ont permis de restaurer les anciens bassins, d’entretenir les canaux d’alimentation en eau de mer et de relancer la production selon les méthodes traditionnelles.
Aujourd’hui, environ 400 hectares sont exploités par une quatre-vingt-dizaine de sauniers, qui travaillent manuellement de juin à septembre. Leurs outils sont restés les mêmes : las, simouses, trulles et brouettes. La récolte s’effectue chaque jour, dès que les conditions météorologiques le permettent. Un geste précis, presque chorégraphique, qui perpétue une tradition vieille de plus d’un millénaire. Les visiteurs peuvent les observer à l’œuvre sur plusieurs sites, notamment du côté d’Ars-en-Ré ou de Loix, où les exploitations sont ouvertes au public. Voir la fleur de sel se former à la surface des bassins, sous le vent et le soleil, reste un moment rare et hypnotique.
L’Écomusée des Marais Salants : comprendre avant de goûter
Pour ceux qui souhaitent comprendre les secrets de cet équilibre entre l’homme et la mer, l’Écomusée des Marais Salants à Loix est une étape incontournable. Installé au cœur d’un site d’exploitation encore actif, il raconte l’histoire du sel à travers une exposition riche en objets, outils et photographies d’époque.
Le parcours en plein air permet de suivre le cheminement complet de l’eau de mer : du pompage en mars, à travers les canaux d’amenée, jusqu’à la cristallisation et à la récolte estivale. On y découvre aussi la vie quotidienne des sauniers, leur langage, leur savoir-faire et la manière dont ils s’adaptent aux évolutions climatiques. Des ateliers pédagogiques et des visites guidées sont proposés durant toute la belle saison, rendant la découverte accessible aux familles comme aux curieux.
La fleur de sel, fierté gastronomique de l’île
Symbole du raffinement et de la naturalité, la fleur de sel de l’île de Ré est aujourd’hui reconnue parmi les plus fines au monde. Récoltée délicatement à la surface des bassins par temps sec et vent léger, elle se distingue par sa texture aérienne et son goût délicatement iodé. Sa richesse en magnésium et en oligo-éléments lui confère une saveur unique, très appréciée des chefs et des gourmets. Sans additif ni raffinage, elle incarne l’essence même de la production artisanale. On la retrouve sur les tables des restaurants de l’île, dans les marchés et les épiceries fines, mais aussi dans une gamme de produits dérivés : caramels, chocolats, sablés ou même cosmétiques à base de sel marin.
Un équilibre entre nature et patrimoine
Au-delà de sa dimension économique, la saliculture joue un rôle écologique essentiel. Les marais constituent un refuge privilégié pour de nombreuses espèces d’oiseaux migrateurs : hérons, avocettes, échasses blanches ou sternes pierregarins y trouvent abri et nourriture. L’entretien constant des canaux par les sauniers contribue également à la régulation naturelle des eaux et à la préservation d’un écosystème fragile, façonné par des siècles d’interaction entre l’homme et la mer.
L’île de Ré, désormais protégée par un plan d’aménagement environnemental strict, poursuit cet équilibre entre exploitation douce et conservation. Entre horizon salin, bicyclette et senteurs d’algues, la balade à travers les marais reste l’un des plus beaux moyens de saisir l’âme de l’île.
Plus qu’un produit, le sel de Ré raconte une histoire : celle d’un territoire qui a choisi la patience et le savoir-faire plutôt que la productivité. Chaque grain est le fruit du vent, du soleil et du geste d’un homme. Entre nature et culture, la saliculture rétaise rappelle que certains trésors se méritent et se récoltent à la main.

