Cantilène Cantabrique : A Coruna, extra !

Haut de 55 mètres, majestueux repère des confins méridionaux du monde celtique, on s’étonnera que Sylvain Tesson, négligeant l’emblématique promontoire et l’amer monument, inaugure à Gijon sa navigation initiatique à la poursuite des fées des mers celtiques plutôt qu’ici, à La Corogne.
Au pied de la colline du phare romain construit sous Trajan, et rhabillé de pierre à la fin du XVIIIe siècle, monte la garde une colossale statue de pierre, c’est Breogan, mythique roi celte de Galice. Un peu plus à l’Est, à Campo da rata, se dresse une sorte de Stonehenge et de curieux dolmens fenestrés, c’est une œuvre récente, mémorial dédié aux victimes de la répression franquiste et pour la paix. Ils surplombent la grande baie de La Corogne et regardent au Nord Est vers l’ouverture de la ria d’El Ferrol.
El Ferrol del Caudillo, c’était écrit comme cela sur les cartes marines du SHOM jusque dans les années 1980. J’ignore pourquoi, mais ce nom, je le trouvais beau. Ça sonnait bien, un air de noblesse, tout comme Barbate de Franco. Et pourtant nous, les gens de ma génération, étions antifranquistes par naissance… Francesco Franco qui a dirigé seul l’Espagne pendant presque quarante, était né au Ferrol, ses troupes avaient débarqué en 1936 en Andalousie, dont Barbate, pour finalement faire tomber la République. El caudillo : « le chef ».
L’ensemble de la ria del Ferrol et de La Corogne, c’est leur rade de Brest à eux les espagnols. El Ferrol au nord : amirauté, arsenal, port commercial. A Coruna au sud : port de pêche, de commerce et de navires de grande croisière. C’est un atterrage « A » : tout temps. Et il vaut mieux pour attendre, au besoin, les conditions favorables pour s’engager vers le sud et le cap Finisterre ou vers le nord et le golfe de Gascogne. Une grande digue barre l’entrée de La Corogne, une haute tour en surveille la rade et les mouvements des navires. Deux marinas s’offrent au voilier de passage, le premier à l’enracinement de cette digue nous a été déconseillé : la houle rentre. Nous nous y engageons cependant car, au fond de cette « Marina Coruna », se tient la station de gasoil. Le servant du fuel est, nous sommes en Galice, aimable. Ah bon ? il est français ! Natif de Cannes il préfère la ville de sa femme, il fait moins chaud en été (c’est vrai…), il ne fait pas froid en hiver, la vie y est moins chère (c’est vrai), et ils font du bon pain ! Cela aussi est vrai nous découvrirons le Pan de Cannel, ce n’est pas du pain à la cannelle, Cannel est le nom du bourg dont provient la recette de se pain rustique et gouteux.
C’est donc, passé à tribord le Castelo de Santo Anton, que nous serons accueillis aux pontons de la Marina Real, dont les rassurantes digues nous protégerons. C’est propre, bien organisé. L’officiante nous indiquera avec gentillesse toutes les commodités, et à ma demande, les tavernes fréquentées par les locaux. Une vaste esplanade, nue et déserte, nous sépare de l’Avenida Marina et de ses façades entièrement couvertes de bow windows vitrés, ils reflètent la lumière, le soleil, la mer, les bateaux. Ces miroirs de plein air valent à la Corogne le surnom de « Ville de Cristal ». De la lumière et du mystère. Plus de mystère au nord de ces étincelantes parures, derrière les immeubles s’ouvre la place Maria Pita.
La place Maria Pita, quadrilatère presque parfait, un peu en pente, dominé par l’austère mairie a les grâces d’une cour militaire, on pourrait y reconnaitre l’élégance Habsbourg… Au centre se dresse fière, et la lance à la main, Maria. Eternelle gloire locale qui sauva la ville de l’attaque de Francis Drake en 1589. Maria fut mariée et veuve quatre fois, un tempérament ! Permanente fantaisie de l’histoire, en 1809 ce sont cette fois les français qui attaquent et prennent sous les ordres du Marechal Soult la Corogne que défendent…les anglais et leurs alliés espagnols. A propos d’anglais, Paul de Patriot Game est invité à bord, il laisse, en toute quiétude son bateau durant un mois avant de reprendre sa route vers l’Algarve, belle soirée,
Les feuilles vernissées d’élégants magnolias accompagnent notre marche matinale le long de l’avenue du port. Direction sud-ouest vers le marché central, praza de Lugo, à un quart d’heure à pied. La ville à l’opulence de Santander et le calme de Gijon, beaucoup d’avenues sont piétonnes. Pas de presse, les passants sont élégants, bien élevés, tranquilles. Le marché est une merveille : légumes, viandes, poissons tout y est frais et de qualité. En face un « Zara », la très renommée marque espagnole est née ici à La Corogne. Plus tard nous avitaillerons régulièrement au Mercato San Augustin, à 500 mètres du bateau, moins fourni, mais tout aussi irréprochable. Nous avons suivi les conseils de la gardienne de la marina, voici deux adresses à fréquenter sans modération. Il n’y a pas de menu en anglais pour la première, un gage d’authenticité : Pulpeiria de Melide Plaza de España 16, et la seconde plus internationale Meson do pulpo Rua Franja, 9.
Une envie de vous baigner vous vient ? L’eau à 17° vous revigore ? On a ce qu’il faut à dix minutes du bateau : une plage de presque un mille ! Praia de Riazor est bondée le samedi et le dimanche. C’est en pleine ville, à l’ouest des ports. Une curieuse fontaine que deux surfeurs de bronze animent célèbre le sport local, toujours la houle…Cette plage est comme la ville que nous avons découvert propre, calme, apaisée.
Le taxi se range comme prévu à huit heures sur l’esplanade face au bateau, le train quitte A Coruna à 08 :38. Nous découvrons la gare d’arrivée à 09 :06. A neuf heures et demi nous sommes face à la cathédrale de saint Jacques de Compostelle !
Autant le dire tout de suite, pour qui connait le sentiment d’être en lévitation dans la merveille du Mont Saint Michel, ou de plonger aux racines du merveilleux en s’arrêtant face à la sépulture de François d’Assise, on peine à se sentir imprégné d’un indicible mystère mystique à Santiago di Compostella. L’architecture monumentale n’y aide pas, on visitera.
Mais, et ils ont raison, l’important est le chemin disent les pèlerins.
Des pèlerinages maritimes sont organisés depuis quelques années, reprenant une ancienne tradition, l’un d’entre eux : https://elcaminoavela.com/fr/ ,emprunte depuis La Rochelle, peu ou prou, la route que nous avons suivi durant cette cantilène cantabrique.
Alors n’hésitez plus. Pèlerin ou non, si à la foule vous préférez la houle ; les tapas sans le tourisme de masse, la pluie qui fait les hortensias jolis, c’est fait pour vous : la côte Cantabrique c’est chic ! E viva Espana !