Sanglés dans leur gilet de sauvetage et hurlant de joie, des touristes chinois se jettent depuis leur hors-bord dans l'eau turquoise de "Milky Way", célèbre lagon des Palaos : dans ces îles paradisiaques de Micronésie, ce sont désormais eux les rois du pétrole.
Appelé Palau en anglais, ce pays, dont l'entière population tiendrait dans un demi-stade de football, voit arriver un afflux brutal et inédit de visiteurs de Chine populaire. Qui bouleversent les équilibres et font grincer les dents des habitants de l'archipel. Les statistiques montrent une forte progression de la proportion de Chinois continentaux parmi les touristes arrivant aux Palaos : de 16% en janvier 2014, ils sont passés à 62% en février 2015. Femmes en combinaison intégrale pour se protéger du soleil, hommes en short et débardeur, ils prennent d'assaut les buffets en bord de plage et envoient des "selfies" à leurs amis demeurés dans la grisaille des villes chinoises.
Ayant prospéré dans l'informatique, Du Chuang s'est offert le voyage en famille dans le joyau océanique. M. Du est emblématique de ces Chinois qui partent plus loin en vacances: il s'est d'abord rendu dans l'île tropicale chinoise de Hainan. L'année d'après, en Thaïlande. Puis aux Maldives. Aujourd'hui, aux Palaos. "Les coraux ici sont bien plus beaux qu'à Sanya", dit-il, en référence à la grande station balnéaire de Hainan, aux hôtels gratte-ciel. Aux Palaos, "c'est petit et splendide".
Peu sensibilisés à l'écologie, les Chinois sont aussi critiqués pour être bruyants et irrespectueux de l'environnement. "Ils brisent les coraux, jettent leurs déchets en mer", s'irrite Norman, un chauffeur de taxi. Des reproches entendus chez de nombreux Palaois.
Un tour-opérateur chinois, bizarrement nommé "Yellow skin tour" ("Excursions peau jaune"), a affiché dans un prospectus des photos de touristes brandissant fièrement une tortue prélevée sur un récif corallien... Officiellement, les autorités affirment que les nouveaux touristes chinois sont les bienvenus. Mais plusieurs responsables rencontrés s'inquiètent d'un surnombre dans l'archipel enchanteur.
La République des Palaos a accueilli 140.784 visiteurs en 2014, en hausse de 34% par rapport à 2013. En février 2015, le nombre de Chinois du continent a bondi de 516% sur un an. "Nous sommes un très petit pays. Nous disposons de ressources limitées. Alors, ce brusque afflux est pour nous une grande inconnue", admet Nanae Singeo, directrice de la "Palau visitors authority".
Jusqu'à récemment, 60 à 70% des arrivants étaient des adeptes de la plongée sous-marine, Japonais en tête. Les Chinois sont davantage attirés par la plage et le farniente. Cela soulève des interrogations. "En tant que pays, notre cible marketing a toujours été une clientèle supérieure, à haute valeur ajoutée. Nous n'avons jamais promu le tourisme de masse", explique Mme Singeo. Surtout que les retombées économiques sont décevantes: "Logiquement, nous devrions enregistrer des recettes en hausse d'au moins 30%, mais ce n'est pas le cas". Résultat, le gouvernement tente de faire machine arrière. Il a notifié à des compagnies aériennes opérant depuis Hong Kong et Macao de restreindre leurs vols charters, à partir du 15 avril, a rapporté le journal "Tia Belau" ("Voici les Palaos"). Il serait "irresponsable" de continuer à ce rythme, a commenté le président, Tommy Remengesau.