Après deux semaines d’intenses discussions à Hobart, en Australie, l'organisme international chargé de la préservation de la vie marine en Antarctique (la Commission pour la conservation des ressources marines antarctiques vivantes - CCAMLR) a conclu sa réunion annuelle avec des progrès modestes dans la promotion d'un réseau régional d’aires marines protégées (AMP) et un accord pour tenir une réunion visant à améliorer la gestion des pêcheries de krill, cette petite créature qui est la pierre angulaire de l'écosystème antarctique, en ligne avec la protection proposée de zones clés. Cependant, les organisations de conservation sonnent toujours l'alarme, affirmant que le niveau de progrès réalisé cette année est bien en deçà des défis auxquels la région est confrontée.
Ces derniers mois ont été extrêmes pour l'Antarctique, avec des températures mondiales record, des nouvelles de l'effondrement inévitable de la plateforme de glace de l'ouest de l'Antarctique, ainsi que des millions de vies animales antarctiques menacées par la résurgence de la grippe aviaire dans la région ces derniers jours.
"On a l'impression de faire un pas en avant et deux pas en arrière en matière de protection marine en Antarctique. Bien qu'il soit quelque peu réconfortant que des mesures clés de conservation n'aient pas été annulées, la CCAMLR, en maintenant le statu quo, reste très éloignée des mesures drastiques nécessaires pour faire face aux crises climatiques et de biodiversité sans précédent", a déclaré Claire Christian, directrice exécutive de la Coalition pour l'Antarctique et l'océan Austral.
Du côté positif, la CCAMLR a convenu de renouveler la CM 51-07, qui répartit la capture annuelle de krill en quatre zones distinctes autour de la péninsule Antarctique, tandis que le Comité scientifique s'est efforcé d’optimiser la gestion de la région qui se réchauffe à grande vitesse, en s'engageant à organiser un symposium en juillet 2024. Celui-ci se concentrera sur l'établissement d'une AMP autour de la péninsule Antarctique occidentale et la mise en œuvre d'une approche de gestion actualisée de la pêche au krill basée sur l'écosystème.
"Avec l'accord d’associer la désignation de l’AMP dans la péninsule Antarctique avec la gestion actualisée de la pêche au krill, les membres veilleront à ce que tous les services essentiels fournis par le krill à la planète, y compris la séquestration du carbone, restent intacts. Ils veilleront également à ce que le niveau de population du krill se maintienne à un niveau sain afin que ses prédateurs puissent aussi le rester. Ce qui est décevant, c'est l'absence d'action pour établir le réseau d’AMP que la CCAMLR s'était engagée à créer en 2011. Depuis sept ans, la CCAMLR ne fait que retarder les désignations d’AMP. Il est clair que ses membres n’exigent pas autant de science pour maintenir les pêcheries ouvertes qu'ils n'en exigent pour garantir des protections pourtant si nécessaires pour protéger cette région spectaculaire et les animaux qui y vivent", a déclaré Andrea Kavanagh, directrice du travail de conservation de l'Antarctique et de l'océan Austral pour le projet Pew Bertarelli Ocean Legacy.
"La faiblesse sans précédent de l’étendue de la glace de mer cette année et l'échec catastrophique de la reproduction des manchots empereurs sont un signal d'alarme pour que la CCAMLR agisse. Nous saluons l'accord de tous les membres de la CCAMLR cette année pour progresser vers l'établissement de l’AMP de la péninsule Antarctique, ainsi que pour renforcer la réglementation de la pêche au krill. Il est clair que 2024 sera une année critique pour que la CCAMLR produise des résultats concrets et honore son engagement d'établir un réseau d’AMP autour de l'Antarctique, avec des zones significatives interdites à la pêche", a déclaré Emily Grilly, directrice de la conservation de l'Antarctique pour le WWF.
Un autre aspect positif à la fin de la réunion a été l'introduction d'une nouvelle proposition à grande échelle visant à ajouter 720 000 km2 supplémentaires de protection à la proposition existante de l’AMP de la mer de Weddell (Mer de Weddell Phase 2) introduite par la Norvège, avec l'accord de la réunion pour poursuivre le développement de la proposition. Avec les propositions d’AMP pour l'Antarctique oriental et la péninsule Antarctique qui n'ont pas encore été désignées en raison du blocage par quelques pays membres, cela protégerait plus de 4,5 millions de km2 d'océan en Antarctique, une superficie plus vaste que celle de toute l'Union européenne.
Cependant, une fois de plus, des résistances ont été exprimées envers des mesures concrètes visant à protéger des sites vulnérables telles que le plus grand site de reproduction connu au monde de poissons des glaces, abritant environ 60 millions de ces poissons, découvert l'année dernière par des scientifiques allemands.
"Les intérêts à court terme et à courte vue des pêcheries continuent de primer sur les besoins de conservation à long terme. Si nous ne parvenons même pas à protéger des zones de reproduction clés pour les poissons, ce qui correspond aux objectifs internationaux de protéger au moins 30 % de l'océan d'ici 2030 ainsi qu'à la croissance de nouvelles populations de poissons, une perspective pourtant intéressante pour l'industrie de la pêche, alors nous mettons en danger non seulement les écosystèmes antarctiques, mais aussi le bon sens", a déclaré Jehki Härkönen, conseiller en politique océanique chez Greenpeace International.
"La construction d'un consensus sur l'augmentation de la protection au sein de la CCAMLR est trop lente, et nous devons vraiment porter ces négociations au plus haut niveau diplomatique", a déclaré Claire Christian. Dans un peu moins de deux semaines, la France accueillera le One Planet Polar Summit qui réunira des experts et des leaders de haut niveau pour s’accorder sur des actions conjointes visant à protéger les précieuses régions glaciaires de la planète. “J'espère vraiment que ce sommet marquera le début d'une ère d'action accélérée en matière de conservation qui aille au-delà de la fonte des glaces antarctiques", a conclu Christian.