
Après deux nouvelles semaines de négociations, l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) est toujours loin de finaliser les règles de l'extraction minière en haute mer, refusant de bâcler ses travaux sous la pression des Etats-Unis prêts à lancer seuls cette industrie controversée.
Après la réunion de mars et cette nouvelle session à Kingston, en Jamaïque, les 36 Etats membres du Conseil, organe exécutif de l'AIFM, ont fini jeudi de passer en revue le projet de "code minier" et ses 107 règles d'exploitation du plancher océanique des eaux internationales, qui abritent des minerais convoités pour la transition écologique. "C'est une étape importante", a salué le président du Conseil Duncan Muhumuza Laki sous les applaudissements.
Mais après plus de dix ans de négociations, des dispositions cruciales, notamment sur la protection de l'environnement, sont loin de faire consensus et plusieurs délégations ont publiquement résisté aux appels du président du Conseil à tout faire pour terminer le code cette année, comme l'envisageait une feuille de route adoptée en 2023. "Les activités d'exploitation ne peuvent pas commencer tant que nous n'avons pas un cadre solide, équitable et applicable, et tant que la science ne nous donne pas le savoir scientifique nécessaire pour identifier les impacts sur l'environnement marin", a ainsi plaidé en plénière Salvador Vega Telias, représentant du Chili, l'un des 37 pays réclamant un moratoire. "Les fonds marins ont besoin de règles", a commenté la secrétaire générale de l'AIFM Leticia Carvalho. Mais "je crois fermement que le succès de la gouvernance des fonds marins dépendra de notre capacité à s'appuyer sur une science solide, un dialogue inclusif et la sagesse d'agir avec précaution".
"Patrimoine de l'humanité"
Cette session de l'AIFM, qui se poursuivra la semaine prochaine avec l'Assemblée des 169 Etats membres, intervient alors que Donald Trump a jeté un pavé dans la mare en avril, donnant instruction à son administration d'accélérer la délivrance de permis pour l'extraction minière sous-marine, y compris en dehors des eaux américaines.
Le président américain a profité du fait que les Etats-Unis ne font partie ni de l'AIFM, ni de la Convention de l'ONU sur le droit de la mer qui a créé cette Autorité pour gérer les fonds marins hors des juridictions nationales. L'entreprise canadienne The Metals Company (TMC) a immédiatement saisi cette opportunité en déposant la première demande de licence en haute mer. Un court-circuitage de l'Autorité fustigé par les ONG et certains pays qui aimeraient lui envoyer un message vendredi, dernier jour du Conseil.
Un projet de texte toujours en discussion, vu par l'AFP, demande ainsi à la commission juridique et technique de l'AIFM "d'enquêter" sur de "possibles problèmes de conformité" soulevés par la participation d'entités ayant des contrats avec l'Autorité à "l'appropriation de ressources" minières en haute mer "en dehors du cadre légal multilatéral", et de recommander le cas échéant des "mesures" en cas de violation.
Nori (Nauru Ocean Resources Inc.), filiale de TMC sponsorisée par Nauru, détient depuis 2011 un contrat d'exploration d'une parcelle de la zone de Clarion-Clipperton (CCZ) dans le Pacifique, située entre le Mexique et Hawaï, qui expire dans un an. C'est au sein de cette parcelle que l'entreprise canadienne prévoyait de déposer cette année auprès de l'AIFM la première demande de contrat d'exploitation, avant de changer de cap pour se tourner vers Washington via sa filiale américaine.
Les négociations à Kingston se sont tenues dans une atmosphère parfois tendue, plusieurs délégations s'en prenant aux méthodes de travail mises en place par le président du Conseil, avec notamment de nombreuses discussions à huis clos. "Ce dont le Conseil discute est le patrimoine commun de l'humanité (...), et cela nécessite que l'humanité ait accès à ce qui se passe", a déclaré à l'AFP Emma Wilson, de l'alliance d'ONG Deep Sea Conservation Coalition, déplorant ce "changement majeur" de procédure. Les défenseurs des océans se battent pour empêcher le coup d'envoi d'une nouvelle industrie qu'ils accusent de menacer des écosystèmes isolés, encore si peu étudiés qu'il est difficile d'évaluer les impacts des futures activités minières sur leur fonctionnement. Les industriels et certains Etats mettent de leur côté en avant le besoin de minerais stratégiques, comme le cobalt, le nickel ou le cuivre, convoités notamment pour les batteries des véhicules électriques.