En Finlande, un ferry décarboné ambitionne de devenir la référence d'un transport maritime durable, malgré les défis qui se dressent face aux efforts de réduction des émissions du secteur.
Aucune fumée ne s'échappe des cheminées de l'Aurora Botnia, un ferry de 150 mètres capable de transporter 900 passagers, alors qu'il navigue dans le Golfe de Botnie, reliant Vaasa en Finlande à Umea en Suède, l'une des lignes maritimes les plus septentrionales de la planète.
Ce navire hybride est alimenté par des batteries et, depuis août, par du biocarburant en remplacement du gaz naturel liquéfié (GNL), explique le directeur technique de l'opérateur Wasaline, Jonas Teir, en montrant à l'AFP la salle des machines. "Nous fonctionnons actuellement au biogaz et à l'huile végétale hydratée (HVO), ce qui nous permet d'être totalement neutres en carbone", assure-t-il. "Nous installons également davantage de capacité au niveau des batteries (pour passer de 2.2 MWh à 12.6 MWh, NDLR), ce qui réduira nos besoins en carburant et autres ressources énergétiques", dit-il.
De nouvelles règles européennes visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à augmenter la part des carburants renouvelables ou bas-carbone dans le secteur maritime sont entrées en vigueur cette année. Et le 17 octobre, les États membres de l'Organisation maritime internationale (OMI) allaient formellement adopter un plan, inédit dans le secteur, de tarification des émissions afin de réduire celles-ci, mais le vote a été reporté à l'an prochain sous la pression des États-Unis, opposés à ce projet. Le transport maritime, qui achemine près de 90% des marchandises de la planète, est responsable à hauteur de 2 à 3% des émissions mondiales de CO2 chaque année.
Pour Fanny Devaux, directrice adjointe du transport maritime au sein de l'ONG européenne Transport & Environment, l'Aurora Botnia représente "un véritable progrès en matière d'efficacité énergétique et d'électrification".
Mais, dit-elle, les biocarburants ne doivent pas devenir la panacée. "Il n'existe tout simplement pas assez de déchets biologiques durables pour alimenter tous les navires du monde", affirme-t-elle. "L'objectif ultime doit être de remplacer les combustibles fossiles par des carburants déployables à grande échelle, aptes à réduire fortement et de façon vérifiable les émissions, sans nuire aux écosystèmes", dit-elle, en citant des carburants comme l'e-méthanol, l'e-ammoniac et l'hydrogène vert.
"Goutte d'eau dans l'océan"
La compagnie Wasaline est justement située sur la côte ouest de la Finlande, une région qui abrite un grand pôle d'entreprises de l'énergie et des technologies. Ces entreprises locales, désireuses de tester leurs technologies de pointe en matière de réduction des émissions, ont beaucoup investi dans l'Aurora Botnia.
Une "situation gagnant-gagnant pour toutes les parties", selon M. Teir. "Nous faisons partie des petites compagnies maritimes, donc le fait d'être précurseurs sert aussi de référence pour les plus grandes", dit-il. Ces réductions d'émissions ne représentent toutefois qu'une "goutte d'eau dans l'océan", reconnaît-il.
La technologie retenue pour propulser l'Aurora Botnia permet à Wasaline de monnayer les quotas d'émissions "épargnés". "Ce mécanisme rend économiquement viable l'utilisation de biocarburants à 100%", assure Jonas Teir. Le report du vote sur le "cadre net-zéro" (appelé aussi NZF) à l'OMI ouvre la porte aux incertitudes et à une "fragmentation" des mécanismes de tarification, juge Hakan Agnevall, directeur général du fabricant industriel de générateurs électriques et de moteurs de bateaux Wärtsilä. Ce plan vise à faire payer aux bateaux une sorte de taxe sur leurs émissions au-delà d'un certain seuil, en vue d'alimenter un fonds récompensant les navires à faibles rejets et soutenant les pays vulnérables au changement climatique. "L'UE a déjà mis en place son système, la Chine fait part de son intention de mettre en place ses propres programmes, ajoutant à la complexité du transport maritime mondial", note M. Agnevall.
De nouveaux engins conçus pour pouvoir fonctionner avec des carburants plus éco-responsables sont en cours de développement par l'entreprise finlandaise. "Nous avons les technologies", assure M. Agnevall. "Mais obtenir suffisamment de biocarburants pour rendre l'équation économiquement viable reste aujourd'hui une contrainte majeure".
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