
Sur les quais de La Rochelle, l’ambiance était à la fois joyeuse et solennelle lorsque le Lun II, galéasse construite en 1914, s’est préparée à larguer les amarres. Longtemps dédié à la pêche, devenu ensuite voilier de croisière, ce bateau classé au patrimoine est désormais promis à un tout autre destin : transporter des marchandises à travers l’Atlantique... sans moteur. En avril 2025, la société Les Frères de la Côte en a fait l’acquisition pour redonner vie à une vision ancienne du commerce maritime, profondément durable et entièrement vélique.
Avant le grand départ, l’équipage partage un dernier verre avec leurs proches. Un moment suspendu, comme le décrit Raphaël Mangin au micro de France 3, importateur de chocolat et frère du commandant : « Ils partent pour six mois. On ne va pas les revoir pendant longtemps et une partie de nous monte à bord avec eux. C’est un projet humain basé sur la cohésion, l’humilité, l’esprit d’équipe... et ça redonne du sens au commerce. »
Un cargo minuscule, mais porteur d’une grande ambition
La mission du Lun II diffère radicalement du transport maritime moderne. Ici, pas de moteur ni d’urgence commerciale, mais une cargaison choisie avec soin : cognac, huiles, amandes, produits artisanaux, pour un total d’environ 10 tonnes, soit l’un des plus petits cargos transatlantiques jamais engagés. À son retour, le bateau rapportera du rhum, du cacao et du café directement achetés auprès de producteurs des Caraïbes.
« Notre credo, c’est de transporter des marchandises qui ne sont pas produites d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique », explique François Mangin, commandant du Lun II. « On fait un lien direct entre producteurs et consommateurs. Le but n’est pas de devenir riche, mais de faire les choses bien. »
Sur le pont, les cordages s’entassent, les tonneaux s’alignent. Neuf au total. « Ce qui fait de nous le plus petit cargo à voile de l’Atlantique ! » sourit le commandant.
Un modèle économique artisanal et assumé
Le Lun II ne joue pas dans la même catégorie que les porte-conteneurs géants. Son atout n’est pas la quantité, mais la valeur ajoutée : un transport propre, lent, respectueux, qui valorise les produits transportés autant que la démarche elle-même.
Cette philosophie séduit toute l’équipe. Robin Delafontaine, matelot, raconte cette aventure avec humour : « C’est super cool de faire du fret à la voile parce que c’est décarboné. On n’est pas pressés. Le rhum a le temps de maturer dans les tonneaux pendant le retour ! » La traversée sera longue, au rythme des alizés, mais pour l’équipage, c’est d’abord une expérience de marin, presque un rêve d’enfant.
Un symbole pour une autre manière de naviguer
Le départ du Lun II résonne comme un clin d’œil à l’histoire maritime française. À l’heure où les cargos cherchent à réduire leur empreinte carbone, ce voilier centenaire rappelle que la voile peut aussi redevenir un outil commercial viable, à condition d’en accepter les codes : lenteur, adaptation, précision.
Dans quelques heures, la galéasse disparaîtra à l’horizon, direction les Canaries puis les Caraïbes. À La Rochelle, les proches suivront sa progression grâce aux balises satellite. Une transatlantique sans moteur, avec un bateau plus que centenaire, mais une idée très actuelle : réinventer le commerce en prenant le temps de bien faire.
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