Flying Cloud : le clipper qui a défié le temps et les océans

Culture nautique
Par Le Figaro Nautisme

Mis à l’eau en 1851 et immédiatement accueilli comme une prouesse d’ingénierie, le Flying Cloud s’est rapidement imposé comme l’un des clippers les plus rapides jamais construits. Pensé par le maître charpentier Donald McKay, porté par la précision scientifique d’Eleanor Creesy et lancé dans un contexte de rivalité maritime exacerbée, il a signé des traversées devenues mythiques. Des chantiers de Boston à son naufrage au large du Canada, son histoire raconte mieux que n’importe quel autre navire l’apogée et le déclin fulgurant des grands voiliers marchands du XIXe siècle.

Mis à l’eau en 1851 et immédiatement accueilli comme une prouesse d’ingénierie, le Flying Cloud s’est rapidement imposé comme l’un des clippers les plus rapides jamais construits. Pensé par le maître charpentier Donald McKay, porté par la précision scientifique d’Eleanor Creesy et lancé dans un contexte de rivalité maritime exacerbée, il a signé des traversées devenues mythiques. Des chantiers de Boston à son naufrage au large du Canada, son histoire raconte mieux que n’importe quel autre navire l’apogée et le déclin fulgurant des grands voiliers marchands du XIXe siècle.
© Wikipedia

La naissance d’un géant dans l’âge d’or des clippers

Au début des années 1850, les États-Unis vivent une transformation spectaculaire. La ruée vers l’or décuple la demande de marchandises à San Francisco, et chaque jour gagné sur la traversée devient une opportunité commerciale colossale. Les armateurs rivalisent donc d’ambition pour faire sortir des chantiers navals les voiliers les plus véloces. Donald McKay, déjà reconnu pour ses coques nerveuses et audacieuses, reçoit la commande d’un clipper capable de bouleverser les standards. Il pousse alors ses choix esthétiques et techniques plus loin que jamais : un étrave acérée, un tirant d’eau optimisé, un arrière élancé et une voilure démesurée pour un navire marchand. Le Flying Cloud n’est pas seulement un voilier commercial, c’est un pari sur la vitesse absolue. Les observateurs de l’époque notent immédiatement sa finesse de ligne et sa capacité à porter une surface de toile immense sans perdre en stabilité. Le chantier, très médiatisé, participe à forger une aura presque mythique autour du navire avant même son premier départ.

1851 : une première traversée qui bouleverse le monde maritime

Le succès du Flying Cloud tient autant à la qualité de sa construction qu’à la vision de son commandant. Dès son départ de New York en 1851, Josiah Perkins Creesy adopte une stratégie ambitieuse : exploiter les vents dominants sans jamais rendre la main, quitte à pousser le navire dans des zones réputées difficiles. La traversée vers San Francisco, longue de plus de 28 000 kilomètres et marquée par les tempêtes du cap Horn, est traditionnellement un cauchemar logistique. Les capitaines y perdent parfois plusieurs semaines, bloqués par des vents contraires. Le Flying Cloud, lui, enchaîne les journées de vitesse exceptionnelle. Dans les registres conservés, on retrouve des pointes quotidiennes dépassant la majorité des clippers contemporains. Son passage du cap Horn est d’une rapidité sidérante. En 89 jours et 8 heures, il entre dans la baie de San Francisco sous les applaudissements. L’événement fait la une de la presse américaine : pour la première fois, un voilier marchand vient de prouver que la science, l’audace et la construction navale peuvent abattre des délais considérés jusque-là comme incompressibles.

Eleanor Creesy, la navigatrice qui a changé la donne

Au cœur du succès du Flying Cloud se trouve une figure essentielle et longtemps sous-estimée : Eleanor Creesy. Navigatrice autodidacte passionnée par l’étude du ciel et des courants, elle s’est constituée, bien avant ce voyage, une bibliothèque personnelle de notes et de cartes inspirées des travaux de Maury, pionnier de la météorologie marine. Contrairement à la plupart des marins de l’époque, qui se fient surtout à l’expérience empirique, Eleanor analyse, calcule, compare et orchestre une stratégie de route basée sur l’observation scientifique. À bord, elle note scrupuleusement les variations de vent, réévalue les trajectoires, et propose au capitaine des ajustements parfois audacieux, mais toujours justifiés par des données. Cette méthode transforme littéralement la manière d’exploiter les océans. Beaucoup d’historiens estiment aujourd’hui que le Flying Cloud aurait pu être un excellent navire sans elle, mais qu’avec elle, il devient un prodige. Son nom reste l’un des symboles les plus forts de la place des femmes dans l’histoire maritime, encore trop rarement évoquée.

McKay Shipyard, East Boston, c. 1855
McKay Shipyard, East Boston, c. 1855© Wikipedia

Un second record qui scelle la légende

En 1854, lorsque le Flying Cloud reprend la mer pour renouveler sa traversée vers San Francisco, l’attente est immense. Les armateurs rivalisent de paris, les journaux spéculent, et certains capitaines affirment déjà que son exploit ne sera jamais égalé. Pourtant, le navire réalise une nouvelle traversée quasiment équivalente. Cette répétition rare, sur une route aussi longue et imprévisible, bouleverse définitivement la hiérarchie maritime. Aucun autre clipper américain ou britannique n'atteint une telle constance. Même les bateaux plus récents, construits pour rivaliser avec McKay, échouent à approcher ce double record. Ce deuxième voyage installe le Flying Cloud au sommet de l’histoire des clippers : il devient un étalon, un modèle que l’on étudie et que l’on cite comme référence lorsqu’il s’agit d’expliquer l’évolution de la navigation à voile commerciale.

Une carrière intense dans un monde qui change trop vite

Malgré ces triomphes, la vie du Flying Cloud illustre aussi la fragilité des clippers. Ces voiliers nés pour l’exploit subissent de plein fouet l’ascension de la vapeur, plus fiable, plus régulière et moins dépendante de la météo. Les grandes routes commerciales se réorganisent : les voiliers doivent parfois se rabattre sur des cargaisons moins lucratives. Le Flying Cloud poursuit sa carrière en multipliant les voyages, notamment vers l’Amérique du Sud, l’Australie ou l’Europe, mais sa rentabilité s’érode lentement. Les registres montrent qu’il transporte tantôt du thé, tantôt du bois, tantôt des denrées diverses, tout cela dans un contexte de concurrence féroce avec les premiers paquebots à vapeur. À mesure que les années passent, le clipper qui battait des records devient un navire solide, respecté, mais inscrit dans un monde qui n’est plus le sien.

1874 : un naufrage banal pour un navire exceptionnel

La fin du Flying Cloud surprend par son caractère presque ordinaire. En juin 1874, alors qu’il navigue au large du Nouveau-Brunswick, un brouillard dense et une navigation côtière délicate conduisent le navire à s’échouer sur un haut-fond près de Saint-Jean. Contrairement à de nombreux drames maritimes du XIXe siècle, le naufrage ne donne pas lieu à de grandes catastrophes humaines, mais il signe le destin du clipper. Les tentatives pour le renflouer échouent, et il est finalement décidé de brûler la coque pour récupérer le métal. La destruction du Flying Cloud entraîne une vague de nostalgie dans le milieu maritime : l’un des navires les plus emblématiques de l’âge des clippers disparaît ainsi, non pas dans une tempête, mais dans un accident côtier presque banal. Cette fin souligne avec ironie la fragilité d’une époque qui s’éteint.

Un héritage toujours vivant

Malgré sa disparition, le Flying Cloud demeure un nom incontournable dans l’histoire maritime. Ses deux records sur la route du cap Horn n’ont été battus que bien plus tard par des voiliers de course modernes, bénéficiant de matériaux et de conceptions incomparablement plus avancés. Les historiens et passionnés de voile continuent d’étudier sa construction, ses plans et son comportement en mer pour comprendre ce qui a fait de lui un navire sans équivalent. Son héritage tient aussi au rôle central d’Eleanor Creesy, dont la contribution redéfinit l’importance de la navigation scientifique. Le Flying Cloud symbolise ainsi la rencontre entre intuition maritime, audace technique et rigueur intellectuelle, un cocktail rare qui a marqué une génération entière de marins.

Pour aller plus loin
o David W. Shaw - Flying Cloud: The True Story of America's Most Famous Clipper Ship
Récit détaillé du navire et du couple Creesy, basé sur des archives fiables.
o Arthur H. Clark - The Clipper Ship Era
Un classique pour comprendre l’essor des clippers et les enjeux économiques de l’époque.
o Carl Cutler - Greyhounds of the Sea
Ouvrage de référence sur les grands voiliers américains et leur rôle dans le commerce mondial.
o Howard I. Chapelle - ouvrages sur l’architecture navale
Indispensables pour comprendre les choix techniques qui ont permis au Flying Cloud d’atteindre des vitesses hors norme.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.