Outre des porte-avions, des sous-marins et des navires de guerre, la marine compte désormais en Inde un bateau en bois à coque cousue, inspiré d'un modèle du Ve siècle, construit pour rappeler la manière dont la puissance asiatique sillonnait autrefois les océans.
Gouverné par d'immenses avirons plutôt que par un gouvernail, ce navire de 20 mètres de long possède une coque assemblée par des ligatures en fibre de coco plutôt que clouée. Sa voile carrée, fixe, est conçue pour capter les vents de mousson saisonniers lors de sa traversée océanique inaugurale vers Oman. "La vie à bord y est rudimentaire. Pas de cabines, seulement le pont", explique Sanjeev Sanyal, un historien de 55 ans qui a imaginé le projet et qui est aussi conseiller économique du Premier ministre Narendra Modi. "Nous dormons dans des hamacs suspendus au mât", explique à l'AFP M. Sanyal, qui fera partie de l'équipage, depuis New Delhi. "Le bateau n'a ni voiles modernes, ni gouvernails, ni moteurs, seulement des avirons de manoeuvre".
Ce diplômé d'Oxford et ex-banquier international a conçu les plans avec des charpentiers de Goa, à partir des descriptions tirées de textes anciens, de peintures et de pièces de monnaie. "Ce navire incarne les traditions anciennes de l'Inde en matière d'exploration maritime, de commerce et d'échanges culturels", a souligné la marine indienne quand le navire - baptisé Kaundinya, du nom d'un légendaire marin indien - a rejoint sa flotte en mai. Il renvoie à une époque où les Indiens commerçaient régulièrement avec l'Empire romain, le Moyen Orient, l'Afrique, et, plus à l'est, avec l'actuelle Thaïlande, l'Indonésie, la Chine, jusqu'au Japon.
Techniques traditionnelles
"L'Inde a une très longue histoire d'exploration maritime et de commerce", qui remonte à "6.000 ou 7 .000 ans", rappelle M. Sanyal, bien avant que Vasco de Gama ne découvre, en 1498, la route des Indes par voie maritime.
Le bateau a été construit selon les techniques traditionnelles. L'équipage de 16 personnes a déjà longé le littoral occidental de l'Inde, du Karnataka jusqu'au Gujarat, et prépare désormais une traversée de trois semaines en haute mer pour parcourir les 2.000 kilomètres qui le séparent de la péninsule Arabique.
Outre une formidable aventure, c'est pour l'Inde une formidable vitrine pour évoquer son histoire. De récentes recherches ont souligné l'importance du commerce entre la Rome antique et l'Inde, via la mer Rouge.
"Nous sommes bien plus proches de l'Europe que de la Chine", observe l'historien. Des découvertes archéologiques ont permis de découvrir beaucoup de pièces d'or datant de la Rome classique. Cette traversée s'inscrit aussi dans une réflexion plus large sur la place de l'Inde dans le monde au moment où New Delhi se livre à une lutte d'influence avec la Chine à travers l'océan Indien. "Nous sommes, dans les faits, tout autant une nation insulaire que le Royaume?Uni ou le Japon: l'ensemble de notre commerce passe par les océans, et notre histoire est liée à la mer", souligne l'historien. "Quand on y pense, cela change aussi notre conception de (qui sont) nos voisins", affirme?t?il. Soudain, "ce sont les Emirats arabes unis, Oman, le Kenya, l'Indonésie, Singapour, et même l'Australie".
Si la traversée vers Oman est couronnée de succès, M. Sanyal espère que le bateau pourra mettre le cap à l'est pour une traversée de trois mois jusqu'à Bali, en Indonésie, sur les traces des routes qui ont favorisé la diffusion du bouddhisme et de l'hindouisme à travers l'Asie.
La navigation se fera dans des conditions proches de celles d'il y a 1.500 ans. La seule source d'énergie moderne est une petite batterie pour un radio-transpondeur - les navires en bois apparaissent mal au radar - et pour les feux de navigation sur son mât en teck. La hantise de M. Sanyal est "qu'un pétrolier nous fonce dessus" car la la conception cousue permet à la coque de se fléchir avec la mer. "Quand on prend une grosse vague, on peut voir la coque s'enfoncer un peu", dit-il, assurant cependant que la conception est "robuste", et que jadis "littéralement des centaines" de tels navires sillonnaient les mers.
Mais la théorie est une chose et c'"en est une autre de construire l'un de ces bateaux et de mettre sa peau en jeu en le naviguant soi-même".
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