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Pour qui veut suivre ce film du passage du Regulus par le chenal de Maumusson on ne peut rien comprendre à cette extraordinaire prouesse si l’on omet de respecter cet ordre. Laissons-nous donc présenter les décors, les acteurs et la vedette :
Le Décor :
Il revient à Colbert du Terron en 1666 d’avoir fait surgir des marais Rochefort, pour établir l’arsenal atlantique du royaume de France. Cette situation géographique n’est pas sans rappeler les arsenaux anglais protégés des attaques ennemies par les îles et les estuaires. Ce site est la cause de la difficulté de l’entreprise à laquelle nous allons participer.
Sortant de l’arsenal par la Charente et après avoir mouillé sous Aix ou en rade des Basques, le vaisseau de guerre a trois possibilités pour gagner le large : au Nord passer dans le pertuis Breton entre Ile de Ré et le continent, passage étroit et relativement délicat ; passer par le pertuis d’Antioche entre Ré et Oléron, c’est la voie naturelle la plus sûre, celle du nord-ouest ; et enfin passer entre Oléron et le continent, par le Sud, c’est le passage le plus étroit, c’est Maumusson.
Il est semé d’embuches sur 13 milles de l’île d'Aix à St Trojan, avec par endroits des plus étroits que la Charente, des fonds proches du zéro des cartes, un haut fond « le banc Lamouroux » qui, partageant du nord au sud le coureau d’Oléron, en accélère le courant. Ces 13 milles sont longs, très longs. Il suffit pour s’en convaincre quand vous êtes au mouillage sur corps mort à l’île d’Aix sous la pointe Sainte Catherine de porter le regard vers le sud à marée basse : de la vase, de la vase, des étendues découvertes… Enfin, après s’être faufilé jusqu’à l’estuaire de la Seudre, passé le dernier danger, le banc de « Trompe sot », on arrive en rade des Bris paré à affronter les derniers 3 milles du parcours : le pertuis de Maumusson de sinistre réputation. Pour sa barre qui se forme à l’entrée quand le vent lutte contre le puissant courant, ses remous, ses bancs de sables changeants, sa sonde proche du zéro en plein mitan du débouché, et il aura fallu auparavant entre la Rade des Bris et l’ultime obstacle éviter les hauts fonds, se contenter de la faible largeur du chenal, et composer avec le courant.
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On comprend donc qu’il Il suffit d’emprunter le Pertuis d’Antioche pour sortir de Rochefort, sauf que veille la Croisière Anglaise. Ah la Croisière Anglaise !!!
C’est le deuxième élément du décor depuis la rupture de la paix d’Amiens en 1803.
Composée d’un nombre variable de bateaux ennemis, cinq à dix en général, « elle outrage notre pavillon » comme l’écrit si joliment Louis Garneray dans ses mémoires (1). Telle corvette anglaise navigue entre Oléron et Aix sans pouvoir être inquiétée par nos défenses côtières, telle frégate arraisonne un convoi marchand qui sort de La Rochelle, et un ou deux vaisseaux de haut rang se tiennent à l’écart prêt à fondre sur un bâtiment d’un rang inférieur ou à battre en retraite en cas d’infériorité numérique. Le Fort Boyard n’est pas encore construit et la portée insuffisante des canons d’Oléron et d’Aix explique l’arrogance de la Royal Navy. Insaisissable, très mobile, cette flotte britannique obstrue Antioche et de fait bloque Rochefort.
Au sud, à Toulon, c’est la même chose, la croisière anglaise stationne à distance du cap Sicié en permanence et se ravitaille à Port Mahon sur l’île de Minorque si bien que les marins de sa très gracieuse majesté ont appelé cette permanente veille « Too long »(2) ! On retrouve dans le roman de Conrad « Le Frère de la Côte »(3) la même petite insolente corvette qui s’engage entre Porquerolles et Giens se riant de nos défenses !
La France n’est pas maître de ses eaux territoriales, le bulldog anglais contraint ses capacités de mouvement par sa supériorité numérique : de 1806 à 1811 la flotte impériale est passée de 40 à 60 vaisseaux, la flotte anglaise de 130 à 160 vaisseaux (4)…
Les Acteurs
Sa Majesté l’empereur Napoléon Bonaparte :
Les cuisants revers : Aboukir 1798, Trafalgar 1805, Aix 1809, n’ont pas eu raison de sa détermination à contester la supériorité anglaise, numérique et stratégique, sur les mers et sa volonté de rompre le blocus continental. Il ordonne en août 1811 (impossible n’est pas français !) de faire passer les vaisseaux par le pertuis de Maumusson pour subjuguer l’anglais (5). Cet acteur majeur est aussi, scénariste, metteur en scène …et producteur.
L’Amiral Denis Decrés et les préfets maritimes Lacrosse remplacé par Bonnefoux (en avril 1812)
Respectivement ministre de la marine et préfets maritimes de Rochefort sont tenus d’appliquer à leur niveau les ordres de Napoléon et d’en rendre compte.
Pierre Depoix :
C’est l’acteur principal, le héros, né à Chaillevette en 1767 il s’engage à 14 ans.
De 1782 à 1784 il embarque comme mousse sur l’Hermione de retour de sa triomphale campagne américaine. Novice, timonier, Maître, il est reçu pilote lamaneur du Chapus le 1er septembre 1804 et se bâti rapidement une réputation pour piloter dans Maumusson et le coureau (6).
Les seconds rôles :
Rivaud commandant la région militaire de Rochefort.
Le capitaine de Frégate Lévêque, puis le capitaine de vaisseau Fauveau commandants respectifs du Regulus pour l’expédition, rappelons que dès l’instant ou le pilote monte à bord il acquiert la responsabilité du navire, le commandant du vaisseau se chargeant de faire exécuter ses ordres, on comprend donc qu’ils se contenteront de seconds rôles.
René Primevère Lesson : chirurgien de troisième classe (voix off)
Antoine Bauchère. Pilote lamaneur à Royan (7)
Le Commandant Lucas :
Il faudra nous y faire, il ne figure pas à l’affiche même si son ombre plane sur l’un de ses vaisseau emblématique qu’il avait sauvé de la destruction en 1809. Lucas est à cette époque commandant du Nestor à Brest.
La Vedette :
C’est bien sur notre Regulus, vaisseau de 74 canons.
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Il est le chef d’œuvre d’un architecte naval particulièrement talentueux : le brestois Jacques-Noël Sané (1740-1830). Le prototype du 74 est lancé à Toulon en 1739, baptisé Le Terrible, il est né de la volonté de Maurepas (1701-1781), ministre de la marine de Louis XV, de doter les forces navales d’un navire de second rang rapide et puissant. En 1743 son armement se réduit de 78 à 74 canons, et la construction, plus ou moins en série, est initiée. On peut donc considérer que le 74 est né cette année-là. Il sera copié par toutes les flottes européennes...
C’est un gascon, le chevalier de Borda (1733-1799) qui avec la complicité et l’imagination de Sané peut en 1783 lancer à Brest le premier né d’une longue série standardisée : Le Téméraire. La légende ne prétend-elle pas que le premier 74 de cette série, capturé par les marins d’outre-manche, après avoir été, comme c’était la coutume, visité et mesuré, est finalement retranscrit en plans par les ingénieurs anglais. Muni de ses rouleaux de papiers, le Lord Admiral se rendant à une réunion au siège de l’amirauté, les jette sur la table et déclare : « Messieurs nous avons cent ans de retard ! »
En quoi ce 74 de classe Téméraire conçu par l’exceptionnel Jacques-Noël Sané est révolutionnaire ? C’est une frégate avec la puissance de feu d’un vaisseau de haut rang. C'est-à-dire qu’il allie vitesse, manœuvrabilité et puissance : imparable ! Il faut lui reconnaître d’autres qualités : rapidité de mise en chantier et facilité de réparation que procure la construction standardisée qui, de plus, permet d’abaisser les coûts, imparable ! Il n’y aura pas moins de cent sept navires construits de 1783 à 1813 à Brest, Lorient, Rochefort et Toulon sur ce modèle du Téméraire, un bâtiment armé tous les cent jours, un record. Le Redoutable est lui aussi un enfant de Sané et un frère du Téméraire.
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Le Regulus est lancé à Lorient en 1805. Son nom même peut prêter à interprétation.
Regulus est un trio d’étoile de la constellation du lion.
Regulus, c’est aussi un sénateur romain, Marcus Atilius Regulus (8), consul en -267, son destin est exemplaire pour les antiques : c’est le modèle de la virtus romaine. Vainqueur des carthaginois à l’occasion de l’une des plus grandes batailles navale au sud de la Sicile, puis vaincu et captif, il incarne le courage, le respect de la parole donnée, la tragédie de la destinée. Notre 74 illustre ses deux homonymes, se battant comme le roi des animaux et instrument du fatum.
Ses dimensions impressionnent : 56 mètres de longueur de coque, 14,90 mètres de bau, et 7,26 mètres de tirant d’eau en charge pour un déplacement de 5 620 tonnes. Ces mesures doivent être comparées au tirant d’eau d’une corvette de l’époque, environ 3,70 mètres, ou d’une frégate type Hermione qui cale 5,78 mètres.
Réparé à Rochefort après l’affaire des brûlots les dégâts ont été tels que le Regulus n’est plus jugé apte à reprendre la haute mer. C’est donc lui, le Regulus, qui est choisi pour l’impossible passage de Maumusson.
L’exposé du problème est limpide : comment faire passer un navire de 15 mètres de large et de plus de 7 mètres de tirant d’eau quand la hauteur d’eau est à peine supérieure, dans une passe étroite et dangereuse et, qu’au débouché, vous attendent les bouches à feux ennemies? Impossible n’est pas français ?
….A SUIVRE
Bibliographie :
Le récit exhaustif du passage de Maumusson est paru pour la première fois sous la plume de Dominique Droin en 2004 dans le volume III de son « Histoire de Rochefort » Editions de la Prée 38, rue du Vinaigre, 17450 Saint Laurent de la Prée. C’est LA référence.
Pour Le « Bulletin N° 2 de la Société des Amis du Commandant Lucas » l’écrivain, Ami de la Société en offrira une version adaptée en 2006.
1) Louis Garneray « Corsaire de la République » Phebus Paris 1984
2) Remi Monaque « Trafalgar »Taillandier Paris 2005
3) Joseph Conrad « Le frère de la côte » p195 Folio Gallimard 1928 pour la traduction française.
4) Maurice Dupont « L’amiral Decrés et Napoléon » p 275 Economica, Paris 1991
5) Dominique Droin « Bulletin N°2 de la Société des Amis du Commandant Lucas » 7-11, Fouras 2006
6) Pierre Depoix in Les pilotes du Chapus : http://bibibourcefranc.fr/wa_199.html.
7) Guy Binot : http://www.c-royan.com/ « Antoine Bauchère »
8) Regulus in http://bibdramatique.paris-sorbonne.fr/pradon_regulus/front-4
9) Alain Rondeau Pilote Côtier 4, 6éme édition Praxys Marine.Carrières /seine 1997