
Une origine métissée entre Europe, Afrique et Caraïbes
Avant d’être antillais, l’accras est l’héritier d’un métissage. La morue salée, d’abord : importée par les colons portugais, elle devient l’un des rares poissons accessibles sur les plantations. Très bon marché à l’époque, elle est expédiée depuis les ports du nord de l’Europe vers les colonies, où elle est aussitôt adoptée par les populations locales. La friture, ensuite : une technique largement répandue dans les cuisines africaines, où l’on maîtrise déjà l’art du beignet salé. Et la créativité créole, enfin, qui va faire le lien entre tous ces éléments pour créer un plat à la fois nourrissant, économique et profondément savoureux.
Les accras de morue font partie des premières recettes que l’on apprend lorsqu’on grandit aux Antilles. Il y a la version de la grand-mère, jalousement gardée ; celle de la voisine, plus aérée ; celle des marchandes sur les marchés, plus relevée. Derrière chaque pâte se cache une histoire, une main, une mémoire. Plus qu’un plat, c’est une transmission, un geste que l’on répète à la maison pour les fêtes, les enterrements, les baptêmes. Servis chauds, toujours frits à la minute, ils rassemblent sans protocole, ils parlent fort, ils sentent bon. Ils sont tout ce que la cuisine antillaise incarne : chaleur, convivialité, partage.
Des recettes en constante évolution
Si la recette classique reste indétrônable, les accras n’ont pas échappé à l’inventivité contemporaine. Aujourd’hui, les chefs créoles n’hésitent plus à bousculer les codes : accras végétariens aux pois chiches, version luxe à la langouste, beignets allégés au four, parfumés à la citronnelle ou au gingembre. Certains y ajoutent de la patate douce pour adoucir la pâte, d’autres de la coriandre fraîche, du lait de coco ou même un soupçon de rhum vieux. Dans les food trucks comme dans les restaurants étoilés, l’accras se réinvente, tout en gardant son essence.
S’il fait figure de roi de l’apéritif, l’accras n’a pas peur de prendre du galon. En plat principal, il se sert avec du riz créole, des haricots rouges, du gratin d’igname ou une salade de papaye verte. Son duo favori : la sauce chien, une émulsion magique à base d’ail, d’oignon, de citron et de piment, versée bien chaude sur les beignets encore fumants. Pour un déjeuner complet, on peut même les glisser dans un bokit - ce sandwich antillais frit à la poêle - avec quelques feuilles de laitue, une rondelle de tomate et une pointe de sauce créole. L’effet est immédiat : généreux, croustillant, addictif.
L’accord parfait : boissons, pains et accompagnements
Côté boisson, c’est un terrain de jeu. Un punch citron bien sec pour relever, un planteur fruité pour arrondir, ou même un rhum agricole vieux à siroter lentement en fin de dégustation. Les amateurs de vins blancs préféreront un Entre-Deux-Mers, un Côtes-du-Rhône vif ou un blanc sec d’Alsace. En version non alcoolisée, une citronnade maison, un jus de goyave ou une eau infusée au gingembre et au citron font parfaitement l’affaire.
Pour le pain, on peut les servir avec une baguette bien fraîche ou un pain au maïs légèrement toasté. Et en garniture, pensez aux pickles de légumes antillais, à une purée de patate douce ou à un coleslaw maison bien vinaigré.
La recette maison pour se lancer
Ingrédients :
o 300 g de morue dessalée (24 h à l’avance)
o 2 gousses d’ail
o 1 oignon nouveau ou cive
o 1 piment antillais ou végétarien
o Persil plat, thym
o 150 g de farine
o 1 œuf
o 1 cuillère à café de levure
o 10 cl d’eau ou de lait
o Sel, poivre
o Huile végétale pour friture
Préparation :
Faites pocher la morue dessalée 10 à 15 min. Effeuillez-la à la main. Hachez les herbes, l’ail, l’oignon et le piment. Mélangez tous les ingrédients pour obtenir une pâte homogène mais souple. Laissez reposer au frais au moins 1 h. Faites chauffer l’huile, puis plongez-y de petites cuillerées. Retournez-les jusqu’à ce qu’ils soient bien dorés. Égouttez et servez aussitôt.
Ce n’est qu’un beignet, diraient certains. Et pourtant, il incarne bien plus : une histoire de métissage, un geste de cuisine populaire, une mémoire collective, un plaisir immédiat. Les accras de morue font partie de ces plats dont on ne se lasse pas, car ils évoluent avec leur temps, leurs cuisiniers, leurs ingrédients. En apéritif ou en plat, à la maison ou au restaurant, il y a toujours une bonne raison de les faire frire. Et de les partager.