
Quelques jours après Noël, alors que le vent soufflait en rafales à 90 km/h sur la pointe du Vivier, Guillaume Bruneau, bénévole à la LPO Bretagne, aperçoit une silhouette immense glissant au ras des vagues. Il décide de la suivre sur près de 4 km, disparaissant par moments derrière la houle. Interrogé par Le Figaro, il raconte : « J’ai dû suivre cet oiseau sur près de 4 km, sous 90 km/h de vent, le perdant de vue de longs moments derrière les vagues, et pas une fois il n’a battu des ailes. [...] J’ai passé plus de cinq minutes avec un albatros sur son local patch, quel bonheur, un rêve de gosse ! » D’après ses estimations, l’envergure atteignait environ 2,3 m, confirmant l’identification : un albatros à sourcils noirs (Thalassarche melanophris).
Originaire des mers subantarctiques, ce grand planeur vit principalement autour des îles Falkland, de la Géorgie du Sud, des Crozet, des Kerguelen ou encore des Snares. En dehors de la saison de reproduction, il parcourt seul des milliers de kilomètres, porté par les vents d’ouest. Son envergure peut atteindre 2,4 m, pour un poids moyen de 4 kg et une taille de 90 cm. Il se reconnaît à son plumage blanc contrasté par le dos et les ailes noirs, et surtout à la ligne sombre au-dessus de l’œil, comme un trait de mascara. Planeur hors pair, il peut parcourir de grandes distances sans battre des ailes, profitant des ascendances créées par la houle.
L’espèce se reproduit une fois par an, pondant un seul œuf incubé environ 71 jours par les deux parents. Le jeune prend son envol vers quatre mois et la maturité sexuelle n’est atteinte qu’à 7 ou 9 ans. Son régime se compose de poissons, céphalopodes et crustacés, mais il n’hésite pas à profiter des rejets de pêche. Sa longévité dépasse souvent 40 ans, parfois plus de 50. Longtemps menacé par les captures accidentelles et la pollution plastique, il est aujourd’hui classé « Préoccupation mineure » sur la liste rouge de l’UICN, même si ces menaces persistent.
Si sa présence en France est rarissime, elle n’est pas impossible : poussés par des conditions météorologiques particulières, notamment de forts flux d’ouest, quelques individus isolés peuvent remonter vers l’Atlantique Nord. La Bretagne est alors le meilleur point d’observation... à condition d’avoir l’œil et beaucoup de chance.
Le privilège d’un instant
Pour l’observateur chanceux, l’instant fut bref : à peine quelques minutes avant que l’oiseau ne disparaisse à l’horizon. Mais ces rares apparitions suffisent à rappeler la puissance et la grâce de ce planeur hors pair. Un fragment du grand Sud venu effleurer les rivages bretons.
La rencontre de Quiberon restera dans les annales ornithologiques françaises : un témoin de la capacité des oiseaux à défier les distances, et un rappel que nos côtes peuvent parfois accueillir des visiteurs venus de l’autre bout du monde. Les passionnés le savent : lever les yeux au bon moment peut offrir les plus beaux cadeaux.