L’avenir de la voile traditionnelle dans les Iles de Guadeloupe

Pour en savoir plus, nous avons interrogé Alain Foy, l’un des deux constructeurs de canots et visité son chantier aux Saintes, nous avons aussi interviewé un pêcheur à Deshaies et vu avec ANASA ce qu’il en est de la formation des jeunes. Les avis recueillis sont différents, mais s’il en ressort que certains sont inquiets pour l’avenir tous sont convaincus qu’il faut faire perdurer cette tradition.
Le Figaro Nautisme : Quelle est l’année de création de votre chantier ?
Alain Foy : Le chantier a été créé en 1976 par mon père, avec lequel j’ai toujours travaillé.
Le Figaro Nautisme : Vous êtes spécialisé dans la construction de bateaux traditionnels ?
Alain Foy : C’est la vocation du chantier, nous avons toujours construit des bateaux traditionnels.
Le Figaro Nautisme : À partir de quelle date vous êtes-vous intéressé à cette construction ?
Alain Foy : Au début des années 2000, à l’époque du TGVT (Tour de Guadeloupe en Voile Traditionnelle) où j’avais participé avec mon propre canot.
Le Figaro Nautisme : À partir des années 2000, combien de bateaux avez-vous construit ?
Alain Foy : La construction a été importante jusqu’aux années 2012 où nous avons mis à l’eau plus de 60 canots. Pour l’édition 2025 du Traditour, sur les 39 canots engagés, 22 étaient de notre chantier.
Le Figaro Nautisme : Les matériaux utilisés pour la construction sont-ils un frein ?
Alain Foy : Non, pour le bois nous utilisons du pin d’Oregon, de l’acajou (blanc, rouge) voire des bois locaux comme le poirier. Le bois doit être parfaitement sec pour être imperméable. Pour cela, nous le séchons dans notre atelier sous des tôles. Pour ne pas alourdir le canot, le bois doit être léger, l’idéal est de le choisir dans un arbre jeune. L’assemblage se fait non pas par calfatage comme sur les Doris bretons mais par collage avec de la colle époxy. La bôme (appelée guy sur un canot saintois) est réalisée en bambou, quant aux coulisseaux de grand’voile (bagues), ils sont en liane ou en rotin. Pour les voiles, pas de maîtres voiliers spécifiques, toutes les voileries sont autorisées à les réaliser à condition que le matériau utilisé soit du coton ou du polyester. Le nombre de poulies de renvoi et de taquets est limité (en principe un maximum de 6 taquets et de 4 poulies). Reste le mât qui est en lamellé collé. Les dimensions d’un canot sont de 5,35 m de longueur et de 1,80 m de largeur. Quant au poids, il est voisin de 160 kg. Pour qu’un canot porte le nom de saintoise, il doit être fabriqué dans les îles de Guadeloupe.
Le Figaro Nautisme : Combien de temps faut-il pour construire un canot ?
Alain Foy : Pour la construction complète d’un canot, il faut compter deux mois.
Le Figaro Nautisme : La demande est-elle toujours croissante ?
Alain Foy : Malheureusement, non, beaucoup de personnes sont intéressées mais il y a peu de concrétisation.
Le Figaro Nautisme : Les pêcheurs sont-ils toujours intéressés ?
Alain Foy : Bien que les canots saintois soient à l’origine conçus pour la pêche, les pêcheurs, à part quelques anciens, se sont tournés vers des bateaux à moteurs. Il faut rappeler que le canot saintois est uniquement à la voile, il ne dispose pas de moteur.
Le Figaro Nautisme : Le prix est-il un frein ?
Alain Foy : Je ne le pense pas, le prix d’un bateau est de 28 000 euros. Somme prise en partie par les sponsors, le propriétaire du canot voire les équipages lorsque l’on prépare une course comme le Traditour.
Le Figaro Nautisme : Quel est l’avenir de votre chantier ?
Alain Foy : Le problème n’est pas son avenir, il y aura toujours des clients pour les bateaux traditionnels, c’est le passage du savoir qui risque de ne pas être assuré.
Le Figaro Nautisme : Que faire pour assurer l’avenir ?
Alain Foy : Notre chantier n’a pas les moyens, bien qu’il y ait de la demande, de former des jeunes. Actuellement, il n’y a pas dans les Caraïbes d’écoles de formation de charpentiers de marine pour la voile traditionnelle. J’ai à plusieurs reprises fait des demandes auprès des élus et des responsables locaux, mais, à ce jour, pas de réponse. Depuis plus de 15 ans, je travaille seul.
Les pêcheurs : que pensent-ils des canots saintois ?
Pour le savoir, nous avons interviewé Patrick Nisis, pêcheur professionnel à Deshaies.
Le Figaro Nautisme : Utilisez-vous des bateaux traditionnels pour la pêche ?
Patrick Nisis : Les bateaux traditionnels type saintoise sont réservés à quelques pêcheurs non professionnels.
Le Figaro Nautisme : Pour quelle raison ?
Patrick Nisis : Bien que le canot type saintoise soit à l’origine conçu pour la pêche, il n’est pas adapté à celle que nous pratiquons en tant que professionnels.
Le Figaro Nautisme : Quelle pêche pratiquez-vous ?
Patrick Nisis : Nous pêchons principalement le thon, la dorade, le marlin voire le requin.
Le Figaro Nautisme : Pour ce type de pêche, à quelle distance allez-vous ?
Patrick Nisis : Nous allons à plus de 50 milles des côtes. Pour se rendre rapidement sur les lieux de pêche seul un bateau à moteur rapide est envisageable.
Le Figaro Nautisme : Un bateau à moteur entraîne des frais de carburant, à quelle hauteur ?
Patrick Nisis : C’est l’un des problèmes qui se répercute en partie sur le prix du poisson. Pour une journée de pêche, de 6 heures du matin au soir, il faut compter 300 à 400 litres de carburant.
Le Figaro Nautisme : Pour vous, une bonne pêche c’est combien de kg de poissons ?
Patrick Nisis : Une journée de pêche en pratiquant la traîne en navigation et la pêche à la canne c’est de 400 kg à 500 kg de poissons.
Le Figaro Nautisme : Êtes-vous beaucoup de pêcheurs sur les îles de Guadeloupe ?
Patrick Nisis : Sur Deshaies, nous sommes 24 professionnels, sur l’ensemble des îles de Guadeloupe, je pense qu’il y a environ 1000 pêcheurs.
Le Figaro Nautisme : Combien êtes-vous à bord ?
Patrick Nisis : Pour des questions de sécurité, nous sommes deux personnes à bord.
Le Figaro Nautisme : Êtes-vous contrôlés ?
Patrick Nisis : Les Douanes, les Affaires maritimes, la Police maritime nous contrôlent régulièrement en vérifiant non seulement le bateau et son armement mais aussi la pêche. Certaines pêches sont interdites, par exemple, celle du coquillage lambi a été interdite pendant 3 ans maintenant elle est autorisée d’octobre à janvier.
En conclusion, la relève pour naviguer est en bonne voie d’être assurée reste à relever le défi de la transmission du savoir-faire pour la construction des canots saintois mais vu la réussite du Traditour cette problématique devrait être prise en considération et aboutir à une prise en compte.