
Les dents de requins, symboles de puissance et d’efficacité, pourraient devenir leur talon d’Achille. Publiée dans la revue Frontiers, une étude menée par des chercheurs allemands met en évidence un phénomène préoccupant : l’acidification des océans endommage la dentition des élasmobranches. Les conséquences pourraient être majeures, car ces prédateurs dépendent entièrement de leurs mâchoires redoutables pour capturer et déchiqueter leurs proies.
Des dents qui se fissurent plus vite qu’elles ne repoussent
Les requins disposent normalement d’un système efficace : leurs dents tombent régulièrement et sont remplacées par de nouvelles, rangées déjà prêtes à prendre le relais. Mais ce renouvellement, pourtant impressionnant, ne serait pas assez rapide ni complet face aux dégâts causés par une eau plus acide. Les chercheurs décrivent des dents corrodées, fissurées, percées de minuscules trous et dont la dentelure caractéristique s’efface peu à peu. Résultat : une mâchoire affaiblie et une efficacité réduite dans la chasse.
Quand le climat s’attaque aux mâchoires
À l’origine de cette menace, le réchauffement climatique. L’océan, véritable puits de carbone, absorbe une grande partie du CO? émis par l’activité humaine. Cette absorption fait chuter le pH de l’eau, la rendant plus acide. Actuellement à 8,1, le pH moyen pourrait descendre à 7,3 d’ici la fin du siècle, ce qui équivaut à une acidité dix fois plus élevée. Les chercheurs ont placé des dents de requins dans deux bassins, l’un reproduisant les conditions actuelles, l’autre celles projetées pour les prochaines décennies. Le constat est sans appel : corrosion accrue, racines fragilisées, affaiblissement global de la structure.
Une adaptation à haut coût énergétique
Si l’image de requins totalement édentés reste peu réaliste à court terme, l’étude met en avant un danger plus subtil. Les animaux devront compenser la perte d’efficacité de leurs dents par des efforts accrus lors de la chasse. Cette dépense énergétique supplémentaire pourrait nuire à leur condition physique et réduire leur capacité à se reproduire, fragilisant encore davantage certaines espèces déjà menacées. À terme, cela pourrait modifier leurs pratiques de chasse et déséquilibrer les écosystèmes marins.
Les mâchoires de requins, souvent perçues comme invincibles, révèlent ainsi une vulnérabilité inattendue. L’acidification des océans ne s’attaque pas seulement aux coraux ou aux coquillages : elle grignote aussi l’arme fatale de ces géants marins. Un avertissement de plus sur les bouleversements que le climat impose aux océans.